L’enseignement de Sri
Atmananda Krishna Menon
Advaita Vedanta
Présenté par son disciple Sri Ananda Wood
Vous pourrez trouver le texte original en anglais en cliquant sur le lien suivant.
The Teaching of Sri Atmananda Krishna Menon on Advaita Vedanta
Notez que le commentaire suivant est donné par Ananda Wood, un disciple du sage Atmananda Krishna Menon (1883 – 1959). Le texte n’est pas protégé par le droit d’auteur et peut être librement utilisé par tout véritable chercheur. Il est extrait d’une discussion, menée par Ananda Wood, avec l’Advaitin Egroup
de novembre à décembre 2003
Table des Matières
Prakriya 1 – Universel et Individuel
1.01 Dans la préface d‘Atma Darshan (page 2), Sri Atmananda dit :
« Des deux lignes de pensée, à savoir celles d’amener l’individuel sous l’universel et l’universel sous l’individu, c’est cette dernière qui a été adoptée ici. »
On distingue ainsi deux approches de réalisation, que Sri Atmananda appelait « cosmologique » et « direct ».
Dans l’approche « cosmologique », une « personne individuelle » ou « jiva » est considérée comme une partie incomplète d’un univers qui l’englobe. C’est pourquoi cette approche est décrite comme celle « d’amener l’individuel sous l’universel ». Cela nécessite une prise en compte de considérer qu’un univers fonctionne – qui est régi par un ‘dieu’ tout-puissant appelé ‘Ishvara‘, ou qui exprime une réalité globale appelée ‘brahman‘. Littéralement, ‘brahman‘ signifie ‘étendu’ ou ‘grand’.
Quand ce qui est considéré comme étendu, est au-delà de toutes les limites de notre physique et de notre vision mentale, alors brahman est réalisé. Une telle expansion peut être approchée avec des exercices divers qui ont été prescrits, pour purifier le caractère d’un sadhaka des penchants de l’ego.
Il existe des pratiques morales qui affaiblissent l’égocentrisme ;
il existe des pratiques dévotionnelles qui cultivent l’abandon à une divinité vénérée ;
et il existe des pratiques méditatives qui envoient l’esprit dans des états spéciaux de samadhi où les limitations habituelles sont dissoutes dans une intense et complète absorption. Par la prescription de telles pratiques, un sadhaka peut arriver à être beaucoup plus impartial, et à obtenir ainsi une vision beaucoup plus large et une compréhension globale du monde.
Un enseignant peut préparer en conséquence un sadhaka, à travers une compréhension du monde, avant de le diriger vers un questionnement sur la vérité non duelle. Ce chemin cosmologique implique une attitude caractéristique de foi et d’obéissance envers la tradition qui a prescrit l’expansion de l’esprit et des pratiques purificatrices. En conséquence, cette voie a été prédominante et rendue publique dans les sociétés traditionnelles qui se sont organisées en obéissant à une foi.
Dans l’approche « directe », un enseignant dirige pour commencer une enquête propre à la réflexion à partir de la vision du monde d’un disciple avec sa personnalité.
De la part du disciple, sa recherche dépend d’un véritable intérêt pour la vérité, elle doit être suffisante pour aller jusqu’au bout de sa recherche avec une profonde remise en question de ses croyances habituelles sur lesquelles dépendent le sens de soi et sa vision du monde. Cela demande d’avoir une attitude indépendante – de poser des questions, de remettre en question ce que l’on sait et de découvrir des choses par soi-même.
Dans les sociétés traditionnelles, une telle attitude indépendante a été publiquement découragée, par crainte de déstabiliser la croyance en la foi qui était nécessaire pour maintenir leur ordre social. En conséquence, il y a eu une tendance à garder l’approche directe cachée, loin de la connaissance d’un public ordinaire.
Le questionnement sceptique des Upanishads a aussi été gardé caché longtemps jusqu’aux publications faites depuis les deux derniers siècles.
Dans le monde actuel, nous avons développé un type différent de société, l’éducation est beaucoup plus répandue, et le questionnement indépendant est encouragé. Ainsi, le « chemin direct » ou le ‘vicara marga‘ a été rendu plus publique naturellement, notamment par Ramana Maharshi.
Dans les enseignements de Sri Atmananda, chaque « personne individuelle » ou « jiva » est considérée comme une apparence trompeuse qui confond le soi et sa personnalité. Le questionnement est tourné directement vers l’intérieur, renvoyant le physique et les attachements mentaux à la vérité la plus profonde de soi ou ‘atman‘.
Les questions tournent autour de croyances assumées, tenant pour acquis la médiation de l’esprit et du corps, nous montrant un monde extérieur. Reflétant la médiation extérieure de l’esprit et du corps, le questionnement revient à la connaissance de soi au plus profond centre de l’expérience, d’où provient la demande.
Au fur et à mesure de la recherche de la vérité, toute observation et interprétation de l’univers est également ramené dans un centre au plus profond qui est véritablement individuel. Toutes les perceptions, les pensées et les sentiments doivent y retourner, tels qu’ils sont interprétés et pris en compte en connaissance durable. C’est pourquoi cette approche est décrite comme celle « d’amener l’universel sous l’individuel ».
En bref, les enseignements de Sri Atmananda commencent par une recherche directe sur l’atman‘ de l’équation traditionnelle ‘atman = brahmane‘.
La recherche est sur la connaissance, en examinant la question de « ce qui est » et en demandant : « Comment est-ce connu ?
En examinant chaque objet du point de vue le plus intime de la connaissance de soi, la réalité complète du monde est réduite à une conscience non duelle, où le soi et la réalité (atman et brahman) se trouvent identiques.
L’examen s’effectue sans qu’il soit besoin de recourir à des exercices traditionnels de culte bhakti ou de méditation yogique. Sri Atmananda a souvent découragé de tels exercices, pour beaucoup de ses disciples, en particulier pour ceux dont les samskaras n’étaient pas déjà associés avec eux. De toute évidence, cette approche ne convient pas à tout le monde. Pour beaucoup dans le monde moderne, les pratiques traditionnelles de la religion et de la méditation sont des valeurs indispensables. Ces derniers temps, à peu près contemporains avec Sri Atmananda, l’approche traditionnelle a été enseignée par de grands sages comme Kanci-svami Candrashekharendra-sarasvati et Anandamayi-ma, pour qui Sri Atmananda avait beaucoup respect. En fait, Sri Atmananda a dit très clairement que ses enseignements étaient vivants, destinés spécifiquement à ses disciples particuliers. Il était assez formellement contre l’institutionnalisation de tels enseignements, disant que la seule ‘institution’ appropriée de l’advaita doit être le maître vivant (si l’on s’obstine à parler d’une institution).
Ainsi, au fur et à mesure que je passe à d’autres messages sur certains prakriyas que Sri Atmananda a enseignés, il faut comprendre que ce ne sont que les rapports d’un disciple particulier, dont les rapports sont inévitablement faillibles.
Certains ouvrages publiés par et sur Sri Atmananda sont indiqués dans le post-script ci-dessous.
1.02 Autres observations à propos de la voie traditionnelle et de la voie directe
Vicara (le questionnement) est essentiel à l’achèvement des connaissances dans n’importe quel chemin. Lorsque la voie traditionnelle est dite « cosmologique », cela n’implique pas un manque de questionnement (Vicara). Cela signifie simplement qu’avec vicara, il y a aussi une composante considérable de cosmologie, qui cherche à décrire le monde et à prescrire des actions améliorant nos personnalités et le monde autour. Vicara doit être présent dans les deux chemins – « cosmologique » et « direct » :
La voie « cosmologique » tire son nom d’une composante cosmologique qui manque dans le chemin direct.
La voie ‘directe’ est appelée ainsi parce qu’elle regarde directement pour comprendre la vérité sous-jacente. Aussi bon ou mauvais que le monde semble être, il est vu à travers la personnalité. Dans la voie directe il n’y a aucun souci d’améliorer la vision cosmique. La seule préoccupation est de refléter le spectacle superficiel et trompeur de toutes les visions extérieures, directement dans la vérité sous-jacente.
La voie directe n’est pas une voie récente. Elle existe depuis le début, avant même que les traditions et les civilisations ne se développent. Et elle a continué pendant l’évolution des traditions, avec les améliorations personnelles et environnementales que les traditions ont prescrites. Ces améliorations sont inévitablement partielles et compromises pour qu’il y ait toujours des personnes qui ne soient pas satisfaites de ces améliorations, mais qui aspirent juste à la pure vérité qui n’est compromise par aucune fausse affirmation. Pour trouver cette vérité, aucune amélioration cosmologique ne peut être suffisante. À un moment donné, tôt ou tard, il faut qu’il y ait un saut, au-delà de toute amélioration, dans une vérité où le pire ou le meilleur ne s’appliquent pas. La seule différence entre la voie cosmologique et la voie directe, c’est quand le saut est fait. Dans la voie directe, le saut est bientôt ou même maintenant.
Dans l’approche cosmologique, le saut est remis à plus tard, afin de laisser le temps d’améliorer les préparatifs pour le faire. Il y a des avantages et des inconvénients des deux côtés, de sorte que des chemins différents conviennent à différentes personnalités. Un saut précoce est plus difficile à faire, car le caractère du sadhaka (celui qui suit une pratique spirituelle) est toujours impur ; donc même ayant sauté dans la vérité, il retombe sans cesse, instable et submergé par des samskaras (impressions restées dans le mental à la suite d’actions égoïstes). Ensuite, le travail reste à revenir à la vérité, jusqu’à ce que les samskaras soient éradiqués et il y a alors un établissement définitif dans l’état sahaja (naturel).
Un saut ultérieur peut être plus facile, Le sadhaka, avec un caractère si épuré que peu ou aucun travail ne reste pour achever son établissement définitif. Mais il y a des pièges pour préparer la personnalité à un saut tardif, car un sadhaka peut devenir amoureux du progrès relatif qu’il a atteint, comme un prisonnier qui tombe amoureux de ses chaînes en or et reste ainsi emprisonné.
Il s’agit donc de trouver le chemin particulier qui convient à chaque sadhaka particulier, au lieu de plaider pour n’importe quel chemin comme le meilleur pour tout le monde.
1.03 Sri Atmananda a écrit et a publié les livres suivants :
1. ‘Atma Darshan‘ et ‘Atma Nirvriti‘ (chacun d’eux en malayalam et en anglais, les versions anglaises ont été traduites par Sri Atmananda lui-même).
2. ‘Atmaramam‘ (en malayalam)
En outre, les livres suivants ont été publiés après le décès de Sri Atmananda :
3. ‘Atmananda Tattwa Samhita‘ (discussions enregistrées entre Sri Atmananda et quelques disciples – les conversations étaient principalement en anglais, elles ont été directement transcrites, et il y avait aussi quelques parties en Malayalam qui ont été traduites par Sri Adwayananda, un fils de Sri Atmananda.
Une traduction en français existe sur ce site Atmananda Tattwa Samhita
4. ‘Notes sur les discours spirituels de Sri Atmananda‘ (notes prises par un disciple, Nitya Tripta – les notes ont été encouragées et approuvées par Shri Atmananda, de son vivant).
Notes on Spiritual Discourses of Shri Atmananda
Voir la traduction française sur ce site : Notes sur les discours spirituels de Sri Atmananda
Prakriya 2 – Les trois états
2.01 « L’examen des trois états prouve que je suis un Principe immuable (Existence). »
C’est le premier des onze Points pour la Sadhana, remis lors d’une série de « conversations régulières » par Sri Atmananda, en 1958.
Ici, les états de veille, de rêve et de sommeil profond sont examinés, comme des expériences de tous les jours, ils montrent un soi de qui les trois états sont connus.
Dans l’état de veille, le soi est identifié à un corps dans un monde extérieur, où les sens du corps sont supposés connaître les objets extérieurs.
Dans l’état de rêve, tous les corps et tous les objets vus sont imaginés par le mental. Les objets rêvés sont vécus par le soi du rêve – qui n’est pas un corps extérieur, mais qui a été imaginé par le mental. Cela montre que le soi qui connaît l’expérience ne peut pas être un corps extérieur comme il est supposé être dans le monde de l’état de veille.
En considérant l’état de rêve plus attentivement, il dépend aussi d’une croyance supposée : Pendant l’expérience d’un rêve, le soi est identifié avec un mental imaginé, où les pensées et les sentiments sont supposés connaître les choses imaginaires du rêve qu’ils conçoivent.
Dans l’état de sommeil profond, nous avons une expérience où aucune pensée et aucun sentiment ne sont conçus et où rien qui soit est perçu ou apparaît. Dans l’expérience du sommeil profond, il n’y a ni nom ni qualité ou forme – rien de conçu par l’esprit, rien n’est perçu par aucun sens. Au début, de ce manque d’apparence, il semble que le sommeil profond soit un état de vide total, où il n’y a rien à savoir. Aucun esprit ou aucun corps n’y apparaît ; et pourtant c’est un état dans lequel nous entrons et que nous expérimentons d’une manière ou d’une autre, chaque jour, quand le corps de l’état de veille s’endort et que l’esprit rêveur est au repos. Si l’état de repos est pris au sérieux, en tant qu’expérience en soi, il soulève une question profonde. Comment est-il expérimenté, à quel moment toutes les activités du corps et l’esprit ont disparu ?
La question dirige l’attention vers un « soi » qui connaît un sommeil profond, un soi qui continue en quelque sorte à connaître quand toutes les actions changeantes de la perception, de la pensée et du sentiment ont disparu. Ce soi est totalement distinct de l’esprit et du corps, puisqu’il reste pour connaître quand Ils disparaissent. Sa connaissance n’est pas un acte changeant de l’esprit ou du corps ; car il demeure lorsque tous les actes changeants se sont mis au repos, dans une expérience où ils sont complètement dissous. Donc il est sans changement en lui-même – il est établi brillant par lui-même, dans la profondeur du sommeil. Puisque le changement et le temps ne s’appliquent pas au soi, le soi est un principe immuable et intemporel de toute expérience.
Dans l’état de veille, Le soi éclaire les perceptions et les interprétations d’un monde extérieur.
Dans les rêves, il illumine l’imagination conçue intérieurement par un mental rêveur.
Dans le sommeil profond, il brille seul, sans aucune confusion avec le corps ou avec l’esprit.
Dans tous ces états, le soi reste le même. Il est toujours absolument inchangé dans sa propre existence, qui l’illumine.
Par ce prakriya, Sri Atmananda a commencé une investigation à partir de l’expérience quotidienne qui est facilement accessible à tous. En conséquence, il considère le sommeil profond quotidien comme une « clé vers l’ultime ».
Il a dit que si un sadhaka est prêt à considérer le sommeil profond sérieusement, alors cela seul suffit, sans avoir besoin d’une culture yogique du nirvikalpa samadhi.
2.02 Dans quelle mesure la position de Sri Atmananda s’accorde-t-elle ici avec les écritures traditionnelles de l’advaita ?
Cela dépend de quelles écritures et comment elles sont interprétées. Deux écritures que j’ai étudiées ici sont l’histoire d’Indra et de Virocana dans la Chandogya Upanishad (8.7-12) et l’analyse de « Om » dans la Mandukya Upanishad. Personnellement, je ne trouve pas difficile d’interpréter ces deux écritures d’une manière qui s’accorde pleinement avec Sri Atmananda. Mais il existe bien sûr d’autres interprétations qui mettent l’accent sur le nirvikalpa samadhi, comme un quatrième état considéré en plus de l’état d’éveil, de rêve et de sommeil profond.
Je dirais que pour les intentions des différents types de sadhana, il est tout à fait légitime d’interpréter les écritures de telle manière qu’elles peuvent sembler contradictoires. Les contradictions sont seulement apparentes, dans le domaine de la dvaita (dualité) où nos sadhanas ont lieu. L’Advaita est le but auquel les sadhanas aspirent. C’est là que toutes les contradictions sont dissoutes.
« La conscience ne vous quitte jamais dans aucun des trois états. »
Dans le sommeil profond, vous êtes conscient d’un repos ou d’une paix profonde. L’inférence (assertion considérée comme vraie) n’est possible que des choses qui n’ont pas été expérimentées. Le fait que vous ayez eu un sommeil profond ou un repos profond est votre expérience directe et vous ne vous en souvenez qu’à l’état de veille. Il ne peut jamais s’agir d’une déduction. Seule l’expérience peut être souvenue. Le fait que vous étiez présent tout au long du sommeil profond ne peut jamais être nié non plus. Ainsi les trois seuls facteurs présents dans le sommeil profond sont la conscience, la paix et vous-même. Tous sont sans objet et ne peuvent jamais être objectivés. En d’autres termes, ils sont tous subjectifs. Mais il ne peut y avoir qu’un seul sujet et c’est le ‘Principe-Je’. Donc aucun de ces trois ne peut être le résultat d’une conjecture puisqu’ils sont eux-mêmes l’expérience. »
Tiré de Nitya Tripta, Notes sur les discours spirituels de Sri Atmananda, 20 janvier 1951, note numéro 64.
2.03 Note 64. LE CONTENU DU SOMMEIL PROFOND.
N’êtes-vous pas ennuyé lorsque vous êtes soudainement réveillé d’un sommeil profond ? C’est parce que vous aimez le sommeil profond plus que vous aimez l’activité. Le sommeil profond est un repos complet. L’égoïsme est la mauvaise identification de soi avec le corps, les sens et le mental. Pour accéder à la Vérité, il faut séparer le corps, les sens et le mental du principe « Je ». Cette élimination, couplée à la recherche de votre véritable centre et à votre établissement, est appelée « réalisation ».
La conscience ne se sépare jamais de vous, dans aucun des trois états. Dans un sommeil profond, vous êtes conscient du repos profond ou de la paix. L’inférence* n’est possible que pour des choses qui n’ont pas été expérimenté. Le fait que vous ayez eu un sommeil profond ou un repos profond est votre expérience directe, et vous ne vous en souvenez que lorsque vous arrivez à l’état de veille. Cela ne peut jamais être une inférence. On peut se souvenir de l’expérience seule. Le fait que vous ayez été présent tout au long du sommeil profond ne peut également jamais être nié. Les trois seuls facteurs ainsi trouvés présents dans le sommeil profond sont la conscience, la paix et vous-même. Tout cela est sans objet et ne peut jamais être objectivé. En d’autres termes, ils sont tous subjectifs. Mais il ne peut y avoir qu’un seul sujet ; et c’est le principe « Je ». Donc, aucun de ces trois ne peut être le résultat d’une inférence ; car ils sont tous l’expérience en soi.
*(Inférence : Déduction, action de présenter une conclusion à partir d’un fait, d’une situation.)
de Nitya Tripta, Notes on spiritual Discourses of Sri Atmananda 20/01/1951 N° 27
2.03 Autres observations
Une analyse de bon sens montre que le sommeil profond est un blanc dans l’enregistrement de la mémoire, entre l’endormissement et le réveil. Mais tel un blanc ne fournit pas une preuve concluante de l’expérience positive d’un soi immuable. Le sommeil peut seulement avoir une durée dans le temps physique, comme indiqué par exemple par le changement dans une horloge ou par changement dans la lumière du soleil. L’enregistrement de la mémoire n’est pas une bande physique ; c’est seulement une séquence d’une suite d’instants passés. Dans cette séquence mémorisée, il y a un moment d’endormissement et (si le sommeil était sans rêves) l’instant d’après c’est le réveil.
Dans le monde physique, il est décrit qu’il peut y avoir une durée de quelques heures entre l’endormissement et le réveil. Quand cette description physique est ajoutée à l’enregistrement de la mémoire, alors il peut sembler qu’il y avait quelques heures entre le moment de s’endormir et celui de se réveiller. Mais si l’enregistrement de la mémoire est considéré dans ses propres termes, il dit quelque chose de tout à fait différent. Il dit que ces deux moments étaient juste à côté l’un de l’autre, sans aucun temps entre eux.
2.04 Alors, que faisons-nous de cette contradiction, entre la vision physique du temps qui s’est écoulé pendant le sommeil profond et la vision mentale dans laquelle aucun temps ne s’est écoulé ?
Nous pouvons répondre de deux façons :
D’une part, on peut penser que oui, il y a eu une période d’heures que la mémoire n’a pas signalée. Mais cela soulève encore des questions. Cette défaillance peut-elle être réparée ? Même si nous ne nous rappelons pas les apparences physiques ou mentales de cette période, y avait-il une expérience là-bas que nous pouvons comprendre plus profondément ? Sous de telles apparences, avons-nous une autre expérience qui se révèle à nous, dans le sens d’un repos rafraîchissant de paix et de bonheur que nous cherchons dans le sommeil profond et qui vient parfois à nous à partir de là ?
D’autre part, nous pouvons considérer qu’aucun temps ne s’est écoulé entre ces moments contiguës comme l’un s’est succédé au suivant. Là encore, cela soulève des questions, encore plus profondes. S’il n’y a pas de temps entre des moments adjacents, qu’est-ce qui les rend différents ?
2.05 Comment vraiment peut-on les distinguer ?
Ne doit-il pas y avoir un écart intemporel entre eux, après le passage de l’un et avant que l’autre soit apparu ? Et s’il en est ainsi entre le moment de s’endormir profondément et le moment suivant de se réveiller, ne doit-il pas en être ainsi entre deux moments adjacents ? Ainsi chaque instant ne surgit-il pas d’un écart intemporel dont l’expérience est la même que le sommeil profond ? Et n’est-ce pas chaque instant qui doit se dissoudre instantanément ? Alors n’est-ce pas chaque moment en contact immédiat avec un sommeil profond intemporel qui à aucun moment ne disparaît ?
De cette façon, ne sommes-nous pas conduits à ce qui est dit dans Atma Nirvriti, comme cité ci-dessous ?
« Ainsi tous sont en état de sommeil profond, un état de sommeil profond où il y a n’y a pas d’ignorance (non-savoir).
Atma Nirvriti Chapitre 17
Une telle position est obtenue grâce à un type particulier de logique, que Sri Atmananda appelait ‘la raison supérieure’ ou ‘vidya-vritti‘. Ce n’est pas le raisonnement extérieur du mental, qui s’appuie sur des hypothèses, passant ainsi d’un énoncé à l’autre. Au lieu de cela, c’est un raisonnement intérieur qui cherche son chemin par des suppositions, passant ainsi de chaque question à des questions plus profondes. Cette logique interne trouve son but lorsque toutes les suppositions sont dissoutes et qu’aucune autre question ne peut se poser. Advaita ne peut pas être établi par une logique « inférieure », comme le raisonnement extérieur du mental. Mais, Sri Atmananda dit exactement qu’Advaita est établi par la logique supérieure ou la raison supérieure, Il dit que cela seul est suffisant pour réaliser la vérité et établir l’Advaita.
Et il a insisté sur le fait qu’un sadhaka doit s’y accrocher sans relâche, sans se laisser aller jusqu’à ce qu’il se dissolve dans un complet établissement. Car c’est la vraie logique. C’est la vérité elle-même, apparaissant sous forme de logique pour ramener un sadhaka dans la vérité, quand l’amour pour la vérité devient véritable. C’est une question délicate, assez paradoxale pour l’intellect extérieur. Et cela dépend essentiellement de la relation entre le Maître et le disciple.
Est-ce que ‘vicara‘ pense à la Vérité ? Non. C’est tout à fait différent. « Vicara » est une enquête incessante sur la vérité du Soi et le monde, en n’utilisant que la raison supérieure et la juste discrimination. Il ne pense pas du tout. Vous venez à « connaître » le sens et le but de vicara uniquement en écoutant les paroles du Gourou. Mais par la suite, vous reprenez ce même savoir, encore et encore à nouveau. Ce n’est pas une réflexion du tout. Cet effort supplémentaire est nécessaire pour détruire les samskaras. Quand l’identification possessive des samskaras ne se produit plus, vous pouvez dire les avoir transcendés. Vous ne pouvez penser à rien de ce que vous ne savez pas. Par conséquent, penser à la Vérité n’est pas possible jusqu’à ce que vous la visualisiez pour la première fois. Alors vous comprenez que La vérité ne peut jamais devenir l’objet de la pensée, puisqu’elle est dans un plan différent. Ainsi, penser à la Vérité n’est jamais possible. L’expression signifie seulement connaître, encore et encore, la Vérité déjà connue.
Nitya Tripta (Notes sur Discours spirituels de Sri Atmananda’, 8 mars 1958, note 1361) :
Il y a de la connaissance dans le sommeil profond, mais ce n’est pas une connaissance d’un objet quelconque qui est séparé du soi. L’expérience du sommeil profond est pure connaissance ou pure lumière, sans mélange avec n’importe quel objet. Les objets qui apparaissaient à l’éveil et dans les rêves, sont ainsi absorbés par le sommeil profond en lumière pure, absolument sans aucun mélange avec la noirceur ou l’obscurité. C’est seulement dans les états d’éveil et de rêve que l’obscurité se mêle à la lumière, à travers l’apparente présence d’objets. Lorsque le sommeil profond est vu correctement, le sommeil profond est identique au nirvikalpa samadhi. C’est un état d’absorption dans la lumière pure. Ce n’est pas bien sûr pour nier la culture yogique du samadhi et de son bienfait, en entraînant la concentration, en purifiant le caractère et en tournant l’attention avec force vers un état d’expérience sans objet. Mais, comme le sommeil profond est si courant et si facile à pénétrer, la plupart d’entre nous ne le considère pas sérieusement. Le seul état dans lequel nous pouvons effectuer une quelconque analyse est l’état de veille. Le but de cette prakriya [à trois états] est de trouver ce « point de vue indépendant ». Bien sûr, la recherche de la vérité commence dès l’état de veille, juste comme on regarde quelqu’un d’autre de sa personnalité partielle. Mais si la recherche est authentique, pourquoi ne trouverait-on pas un terrain plus profond et plus impartial qui est partagé avec d’autres états ?
Est-ce si différent de trouver un terrain d’entente avec d’autres personnes, quand on est vraiment intéressé par leurs points de vue ?
Pour trouver un tel terrain d’entente et d’impartialité, il faut se tenir loin des partialités superficielles, descendant ainsi sous leurs hypothèses limitatives. C’est ce qui doit être réalisé, en tournant le mental éveillé vers une recherche sur le rêve et l’expérience du sommeil. En portant son attention sur les rêves et le sommeil, le mental de l’état de veille est refoulé, dans sa propre profondeur à partir d’où il a surgi.
Quand il considère les rêves, c’est toujours l’esprit – qui pense et qui ressent par la mémoire et l’inférence, qui sont toutes les deux peu fiables. Mais quand l’esprit va plus loin pour essayer d’envisager un sommeil profond, la seule façon de réussir est de se dissoudre complètement dans la conscience elle-même, où la connaissance est son identité. Ici rien n’est rappelé ou déduit ; car la connaissance est entièrement directe, avec la complète identité de ce qui sait avec ce qui est connu.
Donc, d’une part, il est juste d’admettre qu’on ne peut pas voir par avance comment l’analyse ou la recherche va réussir. C’est bien au-delà de l’esprit superficiel du mental de l’état de veille d’où l’investigation démarre. Et, si l’analyse signifie « la poursuite objective et rationnelle de l’intellect « , alors cela ne peut pas être adéquat. Mais, d’autre part, quand Sri Atmananda a parlé de questionnement ou de ‘raison’ ou de ‘logique’ ou ‘d’analyse’, il n’a pas restreint ces termes à l’intellect. Il a notamment dit qu’une recherche authentique doit nécessairement transcender l’esprit, par ‘la raison supérieure’ ou ‘la logique supérieure’ ou ‘l’analyse supérieure’. Cette raison supérieure est un discernement interrogateur qui devient si aigu et si authentique que la vérité elle-même surgit en réponse et prend le sadhaka de retour, au-delà de tout esprit et de toute partialité.
Dans l’advaita, toutes les idées et tous les arguments ne sont utiles qu’à cette fin. Au fur et à mesure qu’ils avancent, ils aiguisent la raison et le discernement, à un point où toutes les causalités et toutes les différences se dissolvent. Quand la raison y parvient, ses résultats ne peuvent être ni prévus ni décrits, mais seulement pointés.
C’est pourquoi le sommeil profond est si important. Il montre la dissolution en toute impartialité et donc en toute indépendance, où aucune distinction confuse ne peut rester.
Selon l’advaita, un véritable advaitin ne se contente pas de se souvenir de quelque chose du sommeil profond, mais en fait il se tient juste dans cette expérience qui est l’essence même du sommeil profond. L’advaitin ne se souvient pas simplement de cette expérience, mais il la connaît dans l’identité, comme tout à fait unifié à elle. Et cette connaissance de l’identité est plus définitivement complètement présente dans l’état de veille et dans tous les états, que quelque chose apparaisse ou non.
2.06 Ainsi, la Gita dit (2.69, dans une traduction libre) :
Celui dont l’équilibre est complet, se tient bien éveillé dans ce qui est la nuit noire inconsciente, pour chaque être vu et créé dans le monde. Les êtres créés sont éveillés à ce que le sage voit comme une nuit où la vraie conscience est submergée par des rêves d’obscurité aveugle.
D’une certaine manière, le seul moyen d’accéder à la vérité non duelle est d’apprendre d’une personne vivante qui connaît directement le sommeil profond, tout en parlant dans l’état de veille. Cet apprentissage ne se peut pas se faire par la lecture de livres ou par n’importe quelle quantité de discussion avec des personnes. Par de telles lectures et discussions, un sâdhaka ne peut qu’entendre les idées et les arguments que les maîtres vivants utilisent pour emmener des disciples à la vérité. Pour être convaincu de la vérité à laquelle de tels arguments sont censés mener, le sadhaka doit être guidé par un maître vivant qui se tient établi dans cette vérité. Concernant « l’expérience » du sommeil profond, la note suivante de Nitya Tripta peut être utile :
2.07 Comment pensez-vous ou vous souvenez-vous d’un plaisir passé ?
Vous ne pouvez qu’essayer de récapituler, en commençant par le temps et lieu, les détails, le cadre et les autres personnages, les circonstances ou les choses, y compris votre propre personnalité. En y réfléchissant ou en les percevant dans le subtil, en suivant la séquence de l’incident, vous arrivez au point culminant, au point où vous avez eu l’expérience précédente du bonheur. À ce point votre corps devient détendu, l’esprit refuse de fonctionner, vous oubliez l’objet longtemps chéri que vous veniez d’acquérir, et vous vous oubliez même. Vous voilà à nouveau plongé dans cet état de bonheur dont vous jouissiez auparavant. Ainsi, en vous vous souvenant d’un plaisir passé, vous en profitez à nouveau, une fois de plus. Mais certaines personnes s’arrêtent net au moment où le corps commence à se détendre, et ils manquent le plaisir proprement dit.
» De même, lorsque vous commencez à penser à votre expérience de bonheur dans le sommeil profond, vous commencez par votre chambre, votre lit, les coussins… et en continuant jusqu’au bout on arrive à la paix que vous avez appréciée là-bas. Vous vous réjouissez de la paix du sommeil profond ; c’est-à-dire que vous trouvez que la paix du sommeil profond est l’arrière-plan de la variété dans l’éveil, et que c’est votre véritable la nature. »
Remarques sur les discours spirituels de Sri Atmananda’, 26 mars 1951, note 105)
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La recherche commence par le mental et ses hypothèses confuses. Mais ce qu’elle fait, est de remettre en question ses hypothèses, dans une tentative de clarifier leurs confusions. En effet, au fur et à mesure du questionnement, le mental ne cesse de creuser le sol apparent sous son propre pied. Il ne cesse de saper ses positions antérieures, à la recherche de clarté. Ses questions sont retournées sur les hypothèses mêmes qui leur ont donné naissance. Au fur et à mesure que les hypothèses sont découvertes, elles sont examinées et leurs erreurs levées, la recherche continue sur des fondations plus profondes, plus directement enracinées, d’où les questions montent et redescendent pour enquêter et clarifier ce qu’il y a dessous.
Tant que ce questionnement réfléchi continue à trouver que son état est une construction issue de la diversité, constituée d’éléments qui doivent être approfondis, la recherche est toujours présente et ne peut atteindre une fin définitive. Car alors sa position s’immobilise sur des choses différentes et étrangères qui ne sont pas entièrement et directement connues, ce qui entraîne inévitablement de l’ignorance, de la confusion et de l’incertitude.
Pour atteindre une fin définitive, le mental doit trouver un moyen pour descendre directement et complètement sous toutes les constructions mentales, là où le mental et son voyage vers le bas sont totalement dissous et où aucune diversité ne subsiste.
2.08 Comment est-ce possible ? Dans un sens, cela arrive tous les soirs, quand nous tombons dans un sommeil profond. L’esprit se détend alors, en se retirant du monde éveillé, à travers les rêves, dans la profondeur du sommeil où aucune diversité n’apparaît. La raison supérieure ou vicara le fait à l’état de veille, par un questionnement avec discernement qui s’affine progressivement de toutes les confusions enracinées, jusqu’à ce qu’elle pénètre entièrement sous la diversité, où elle se dissout spontanément dans ce qu’elle cherchait. Bref, bien que l’enquête débute par le mental, elle n’est pas ciblée sur un objet quel qu’il soit, que le mental conçoit. Sa cible est le pur sujet, le terrain le plus profond d’où surgit la conception et où les conceptions retournent toutes pour être dissoutes, au fur et à mesure qu’elles sont prises. En ciblant ce terrain, la recherche doit aller au-delà de ses conceptions, jusqu’à ce qu’elles soient complètement dissoutes.
Ainsi, du mental d’où cela commence, la recherche et ses résultats doivent sembler assez paradoxaux. Les paradoxes viennent du mental qui est insatisfait de ses propres conceptions. Alors il cherche un moyen au-delà d’eux, bien qu’en même temps il s’attend à concevoir ce qui se trouvera au-delà. En fait, la seule façon de le savoir est d’y aller. Cela ne peut pas être conçu par avance. Pour naviguer le long du chemin, le langage peut être très utile, s’il est utilisé pour pointer au-delà de ses symboles et de ses descriptions. Sa fonction est de se sacrifier, de se consumer si complètement qui ne reste aucune trace de fumée ou de cendre, pour interférer avec ce que montre sa signification.
C’est la « raison supérieure » qui utilise ainsi le langage. La fonction de la raison supérieure est précisément de brûler tous les résidus obscurcissant, laissés par le langage. Ainsi, lorsque vous demandez si la raison supérieure est la fonction d’un mental supérieur, la réponse est très certainement non.
Sri Atmananda était assez explicite à ce sujet. En malayalam (ou en sanskrit), la plus haute raison est ‘vidya vritti‘, qui signifie le ‘fonctionnement de la Connaissance’. La raison supérieure est précisément ce qui dissout le mental dans la connaissance. C’est le fonctionnement de la connaissance, exprimé dans un questionnement de discernement qui ramène le mental à la connaissance où toute pensée est dissoute. Il n’y a pas de « mental supérieur ». Le seul moyen pour que le mental puisse s’élever est de se dissoudre complètement dans la connaissance.
Permettez-moi d’essayer de le dire plus simplement. La connaissance est le sujet dont la raison supérieure et le mental sont des instruments. La raison supérieure fonctionne, par une recherche judicieuse, pour dissoudre le mental dans la connaissance pure, là où le mental appartient réellement.
Et comme la raison supérieure fonctionne, elle utilise le mental de manière réfléchie, dans le but de le ramener à la connaissance. Il n’est pas question que la raison supérieure soit un instrument du mental. C’est toujours dans l’autre sens. J’ajouterai que le processus de la ‘raison supérieure’ est de cent pour cent empirique. Chaque question est testée pour voir à quel résultat elle mène. Et puis, d’autres questions se posent empiriquement. Elles surgissent de la réelle expérience du résultat, pas seulement de l’imagination ou en théorisant à l’avance sur ce que cela pourrait être. Ainsi, le processus doit continuer sans relâche, jusqu’à l’expérience réelle de la vérité où les questions ne se posent plus, où toute possibilité d’interrogation est complètement dissoute. Tout cela exige que chaque questionnement soit retourné sur ses propres erreurs d’hypothèse et de croyance. Sinon, le raisonnement n’est simplement que théorique.
2.09 Raisonnement et vérité :
Lorsqu’une recherche commence à demander des informations claires sur une vérité impartiale, la demande vient d’abord du mental. Mais, pour qu’une telle demande réussisse, le mental qui demande doit remettre en question ce qu’il pense connaître, discerner le vrai du faux dans ses croyances supposées. À la recherche de la vérité, la demande doit continuer à s’ouvrir à ce qui est cru pour un examen sans relâche, Jusqu’à ce que la vérité vivante elle-même (la connaissance même qui est recherchée) se charge du questionnement. Cette prise en charge en vivant la vérité, en demandant au mental, est décrite comme ‘vidya vritti‘ ou, en d’autres termes, comme ‘raisonnement supérieur’. Alors, dans ce raisonnement supérieur, la connaissance recherchée devient exprimée par des arguments vivants et des questionnements vers une vérité au-delà du mental . Une vérité qui ne fait aucun compromis entre les pensées du mental qui font croire et ce que la connaissance trouve vraiment.
Prakriya 3 – Je suis Conscience
3.01 L’analyse des trois états n’est qu’une prakriya. C’est juste une façon de rechercher la vérité. Elle commence par trois déclarations ordinaires : Je suis éveillé ; J’ai rêvé ; J’ai dormi profondément, où aucun rêve n’est apparu. Toutes ces déclarations commencent par le mot « je ». Qu’est-ce que ce « je » qui est commun, qui implique de connaître nos expériences d’ être réveillé, de rêver et de dormir ? C’est une implication que nous avons souvent faite. Mais qu’est-ce que ça veut dire exactement ? Quelle vérité y a-t-il là-dedans ? C’est ce que ce prakriya étudie, en examinant les trois États.
Pour certains qui sont intellectuellement enclins, il peut y avoir un problème avec ce prakriya à trois états, quand il s’agit du sommeil profond. Le problème est que le sommeil profond peut sembler lointain et inaccessible pour le mental qui l’examine. Alors certains préfèrent enquêter sur l’état de veille, en cherchant de façon réflective une vérité sous-jacente à nos perceptions et à nos interprétations éveillées qui s’expriment. Il en résulte un prakriya différent, qui procède à travers trois niveaux de connaissance.
Les trois niveaux sont ceux du corps, du mental et de la conscience. Ils correspondent bien sûr à l’éveil, au rêve et au sommeil profond. Au lieu de se refléter de l’état de veille par les rêves dans le sommeil profond, ce deuxième prakriya réfléchit du corps qui perçoit par la conception du mental jusqu’à la connaissance de la conscience.
3.02 Quelle est cette conscience, qui s’exprime dans chaque acte vivant de l’esprit et du corps ?
C’est la question centrale ici. Une réponse est donnée dans le deuxième point de Sri Atmananda pour la sadhana :
La conscience ne se sépare pas un instant de moi. C’est pourquoi je suis conscient.
Dans cette réponse, il est souligné que la conscience est la connaissance de soi, est toujours présente avec soi, à travers chaque expérience. Que savoir n’est pas un acte physique ou mental, que le soi commence à faire à un certain moment et arrête de faire plus tard. La conscience n’est pas un acte mis en scène qui peut ensuite être enlevé. Au lieu de cela, c’est l’être même du soi, exactement ce que le soi est toujours. En vérité, le soi est la conscience, dont l’être même est de connaître. Elle se connaît, brille de sa propre lumière. Toutes les apparences sont connues par leur reflet de son auto-illumination. Nous les connaissons seulement quand ils viennent à l’attention, lorsqu’ils sont éclairés par conscience.
3.04 Mais alors, comment cette conscience peut-elle être connue ?
La conscience n’est pas un objet qui est connu. Au lieu de cela, c’est juste celle qui sait.
Elle est ainsi connue dans l’identité, comme soi-même, en réalisant sa véritable identité avec soi. C’est la seule façon dont elle peut être connu.
Par une habitude bien ancrée, nous considérons la conscience comme une activité du corps, des sens et de l’esprit. D’où ce que nous prenons pour la conscience apparaît confus dans une grande complexité des actions physiques et sensuelles et mentales.
En chacun de nous, la conscience est réellement vécue dans sa substance comme soi-même. Mais quand une personne regarde à travers l’esprit et le corps, vers un monde qui semble extérieur, il y apparaît que la conscience est différente et changeante, dans différentes personnes, dans des différentes créatures et leurs facultés variées. Ou, si une personne regarde à travers le mental seul, dans le processus mental de conception, il apparaît alors que la conscience est constituée d’une succession de perceptions, de pensées et de sentiments. Ainsi, en elle-même, la conscience est tout à fait distincte des apparences changeantes que nous confondons habituellement avec elle.
Comme elle est vécue directement, au plus profond cœur de chaque expérience individuelle, c’est le pur soi – totalement impersonnel et impartial, au-delà de toute différence et de tout changement. C’est l’expérience la plus intime, la plus indéniable que nous partageons en commun, au plus profond de chacun de nous. Pourtant, très étrangement, cette expérience indéniable est ignorée et en quelque sorte dissimulée, par la grande majorité des personnes dans le monde. Elle est ignorée à cause d’une confusion qui mêle le soi et le corps, les sens et le mental. Cela produit un spectacle erroné d’actions physiques, et sensuelles et mentales, qui sont faussement confondues avec la lumière claire et non affectée de la conscience.
Comme les personnes s’identifient à des corps différents et à des esprits changeants, ils se prennent pour des jivas ou des personnes, qui sont des mélanges disparates et incertains, faites d’une connaissance confuse du soi confondue avec des objets indûment mal connus. De telles personnes adoptent une position inventée par ignorance, sur des terrains découpés et incertains, construits artificiellement à partir de choses étrangères. En conséquence, les expériences semblent partielles et apparaissent divisées par nos personnalités, alors que les personnes sont malheureusement en conflit dans leur apparence de soi. Là où cesse la confusion, comme dans le sommeil profond ou dans les moments de clarté impartiale, la personnalité se dissout et le soi se dresse de lui-même, brillant par lui-même comme le bonheur et la paix. Ceci est mis simplement et de manière concise dans le troisième point de Sri Atmananda pour la sadhana :
« Quand je suis dépourvu de corps, de sens et de mental, le bonheur ou la paix profonde se lève. Donc la paix est aussi ma vraie nature. »
Encore une fois, il peut être utile de se demander brièvement comment ces enseignements se rapportent aux écritures traditionnelles de l’advaita. À l’occasion, Sri Atmananda a dit que la vicara marga pouvait être caractérisée par un seul aphorisme :
« Prajnyanam asmi » ou « je suis conscience ».
3.05 Une telle position est rapportée par Nitya Tripta :
Le chemin de la pensée du « je » :
L’homme ordinaire a un profond samskara enraciné en lui : il est le corps et il est très, très insignifiant, comparé au vaste univers. Par conséquent, la seule erreur possible à laquelle vous êtes susceptibles d’être entraînée, tout en adoptant la pensée du « je », est le samskara habituel de la petitesse attachée au ‘je’. Cette erreur est transcendée par la contemplation de l’aphorisme ‘Aham brahmasmi.’
Brahman est la plus grande conception imaginable de l’esprit humain. La conception de la grandeur sans aucun doute enlève l’idée de petitesse. Mais l’idée de grandeur, qui est aussi une limitation, reste. En fin de compte, cette idée de grandeur doit également être supprimée en contemplant un autre aphorisme : « Prajnyanam asmi ». (‘Je suis Conscience.’)
La conscience ne peut jamais être considérée comme grande ou petite. Ainsi, vous êtes automatiquement élevé au-delà de tout opposé
Notes sur les discours spirituels… 11 octobre 1952, note 298
Ici, Sri Atmananda dit que le mahavakya ‘Aham brahmasmi’ ne va pas tout à fait jusqu’à la non-dualité. Cet aphorisme laisse un samskara de ‘grandeur’, qui doit être enlevé par une plus ample réflexion. D’une certaine manière, on peut voir la même chose implicite dans un schéma classique des quatre mahavakyas qui suivent un après l’autre. Voici une interprétation du schéma :
3.06
1. ‘Tat tvam asi’ ou ‘Tu es cela.’
Cela représente la direction d’un enseignant vivant, essentiel pour apporter par de simples mots et de symboles à la vie, afin qu’un disciple parvienne à la vérité vivante.
2. ‘Aham brahmasmi’ ou ‘Je suis la réalité complète.‘
Cela élargit l’étroitesse de l’ego, en préparation d’une réalisation non duelle qui doit passer par un savoir en identité.
3. ‘Ayam atma brahma’ ou ‘Le soi est toute la réalité.‘
Ici la même chose est dite comme dans le mahavakya précédent, mais d’une manière qui est impersonnelle, en utilisant l’expression « Le soi » au lieu du mot « je ». Parce que le « je » peut encore avoir un sens du personnel en lui – même après l’élargissement des considérations mesquines de l’ego.
4. ‘Prajnyanam brahma’ ou ‘La conscience est tout ce qu’il y a.‘
Cela enfin établit la vraie nature de soi, connue uniquement dans identité, en tant que conscience qui est identique à tout ce qui est connu. Ce n’est bien sûr qu’une interprétation parmi tant d’autres, une parmi de nombreux schémas de mahavakyas. C’est seulement une illustration pour signifier comme les écritures peuvent être liées au vihara marga. A titre d’illustration supplémentaire, un post-scriptum est annexé, avec un passage traduit de l’Aitareya Upanishad, pour ceux qui voudront peut-être voir comment il décrit l’idée de soi comme Conscience.
De ce passage vient l’aphorisme :
‘Prajnyanam brahma. ‘
3.07 From the Aitareya Upanishad
Qu’est-que nous contemplons comme le « soi » ?
Quel est le soi ?
Ce par lequel on voit,
ou ce par quoi on entend,
ou ce par quoi les parfums sont sentis,
ou ce par quoi la parole est articulée,
ou ce par quoi le goût et l’insipidité se distinguent ?
Ou ce qui est ce mental et ce cœur :
la perception, la direction, le discernement, la conscience, l’apprentissage, la vision, la constance, la pensée,
la considération, le motif, la mémoire, l’imagination,
le but, la vie, l’envie, la vitalité ?
Tout cela n’est que des noms attribués à la conscience.
C’est brahman, comprenant toute la réalité.
Voici Indra, le chef des dieux.
C’est le créateur, Lord Prajapati ; de tous les dieux ;
et de tous les cinq éléments appelés ‘terre’, ‘air’, ‘éther’, ‘eaux’, ‘lumières’ ;
et de ces complexes apparents de choses minuscules,
et de semences diverses de différentes sortes ;
et des créatures nées de l’œuf
et celles nées de l’utérus,
et ceux nés de la chaleur et de l’humidité,
et ceux nés de germe ; des chevaux, du bétail, des humains,
des éléphants, et de tous les êtres vivants, se déplaçant et volant ;
et de ceux qui restent en place.
Tout ce qui est vu et dirigé par la conscience,
et tout ce qui est établi dans la conscience.
Le monde est vu et dirigé par la conscience.
La conscience est la fondation.
La conscience est tout ce qu’il y a.
Par ce soi, en tant que conscience,
il s’éleva de ce monde,
et atteignant tous les désirs dans ce lieu de lumière,
il est devenu immortel,
il est devenu cela.
3.08 Autres observations
Lorsqu’une personne essaie de penser à la conscience elle-même, sans y voir de contenu, cela laisse un « Je » perplexe. La perplexité soulève d’autres questions.
D’abord, quels sont les contenus vus dans la conscience ?
Vu à travers du corps, les contenus sont des objets, dans un monde de choses corporelles.
Vu au travers des sens du corps, les contenus sont des sensations, venant du monde.
Vu au travers du mental, les contenus sont des pensées et des sentiments, que l’esprit conçoit.
Ces contenus physiques, sensuels et mentaux sont vus indirectement, quand la conscience regarde à travers les facultés de l’esprit et du corps qui sont différents d’eux. Mais alors, quel est le contenu perçu directement, comment la conscience se regarde elle-même ? Comment la conscience s’illumine ?
Que sait-elle immédiatement, par sa propre lumière qui la connaît ?
Quel est son contenu d’elle-même ?
Certes, ce contenu immédiat ne peut être différent d’elle-même.
Ce contenu immédiat doit être la conscience elle-même. Interprété ainsi, il est tout à fait juste de dire qu’il ne peut y avoir aucune conscience dépourvue de contenu. Car la conscience est toujours présente à elle-même. Son contenu immédiat est elle-même, en toute expérience.
Dans l’expérience du sommeil profond, il n’y a pas de contenu physique ou sensuel ou mental. Aucun contenu n’y est vu indirectement, par le corps, les sens ou l’esprit.
Mais qu’en est-il de la connaissance directe de la conscience, telle qu’elle s’éclaire ?
La conscience peut-elle être présente à elle-même, dans l’absence de corps, de sens et d’esprit ?
Habituellement, on suppose que la conscience est une activité physique ou sensuelle ou mentale. Et alors bien sûr il semble que la conscience ne peut pas être indépendante du corps, des sens ou de l’esprit. Il semble alors que la conscience ne peut pas être présente dans le sommeil profond, quand le corps, le sens et l’esprit sont absents. Mais puisque vous reconnaissez que les activités physiques et sensuelles et mentales ne sont que des apparences qui vont et viennent dans la conscience, que peut-il rester quand toutes les apparences ont disparu ?
Quand le corps, les sens et l’esprit et toutes leurs perceptions disparaissent, dans quoi ces apparences se dissolvent-elles ?
Est-ce qu’elles se dissolvent dans un néant négatif ou un vide ou une absence, qui après tout, il faut la présence du corps, des sens ou de l’esprit pour le percevoir ?
Ou y aurait-il juste une conscience, présente par elle-même, comme son propre contenu, lorsque le corps, les sens et l’esprit ont disparu ?
Pourquoi la conscience elle-même ne resterait-elle pas, présente à elle-même, quand son contenu passager disparaît ?
Si la conscience peut ainsi rester, cela la montre indépendant du corps, des sens et de l’esprit. Sans elle, aucun d’entre eux ne peut apparaître ; donc chacun en dépend. Chacun d’eux en dépend, bien qu’elle ne dépende pas d’eux. En d’autres termes, ce sont des apparences dépendantes de sa réalité. Dans ce qu’elles sont réellement, chacune de ces apparitions est tout à fait identique à la conscience. C’est leur seule réalité, que chacun montre et qu’ils montrent ensemble. Comme ils apparaissent et disparaissent, il semble qu’ils soient limités dans le temps et dans l’espace. Chacun semble être présent dans un endroit limité et être absent ailleurs.
Mais cette limitation est irréelle. Cela ne s’applique pas à la conscience elle-même, qui est la réalité qui est montrée. Car la conscience est le principe commun de toute expérience, présente à tout moment et partout, peu importe l’expérience connue, peu importe quand ou où. Ainsi la conscience ne peut ni apparaître ni disparaître. Son apparence nécessiterait une expérience préalable où la conscience était absente. De même, sa disparition nécessiterait une expérience sans conscience. Une telle « expérience sans conscience » est une contradiction dans les termes – une fausse fiction qui a été construite de manière trompeuse par l’esprit. Donc pendant que les apparences sont perçues par le corps, les sens et l’esprit, leur limitations apparentes ne s’appliquent pas à la conscience, leur seule réalité. Les limites sont une perception erronée, vue à travers le rapport inapproprié et partiel du corps, des sens et de l’esprit. Ces limites irréelles font croire qu’il y a des apparences qui disparaissent. Mais alors qu’ils semblent aller et venir, ils sont la conscience elle-même. C’est leur réalité illimitée, restant pleinement présente à chacune de leurs apparitions et disparitions.
C’est une position classique d’advaita, qui est prise sans équivoque par des interprètes modernes comme Ramana Maharshi et Sri Atmananda.
A partir de cette position, le sommeil profond est interprété comme une expérience où la conscience est montrée comme son propre contenu. Le sommeil profond montre une conscience identique à ce qu’elle contient, avec ce qui y est connu. Ce qui y est révélé n’est pas la conscience sans contenu, mais la conscience elle-même.
3.09 Une autre question se pose ici. Si la conscience est indépendante de nos corps limités, nos sens limités et nos esprits limités, alors comment pouvons-nous réellement la connaître, pour ce qu’elle est ?
Dans l’enseignement de Sri Atmananda, la question est répondue par un simple déclaration :
‘Je suis conscience.‘
Cette déclaration est au cœur de l’approche de Sri Atmananda. Ce n’est pas une déclaration inférieure. Au lieu de cela, c’est le centre de l’enseignement. Lorsqu’il est dit « Je suis conscience« , l’énoncé indique un savoir dans l’identité. C’est ainsi que la conscience est connue. C’est connu par la connaissance de soi, comme sa véritable identité. C’est seulement là que le sujet et l’objet sont dissous, y compris n’importe quel ‘moi’ perplexe.
Selon Sri Atmananda, la déclaration «Tout est conscience » ne va pas assez loin. Cela laisse une trace de mental élargi, pressentant le ‘tout’. Le contenu de la conscience est encore perçu indirectement, comme un objet vaste et nébuleux. Une intuition élargie est ainsi laissée sans examen, subrepticement supposé faire la perception. Une dernière enquête reste donc encore, pour retrouver la conscience identique à soi. Jusqu’à que l’identité soit atteinte, la dualité n’est pas dissoute.
Ainsi, pour Sri Atmananda, l’intuition n’est pas une réponse aux limites de l’intellect et de l’esprit. L’intuition n’est rien de plus qu’un forme d’esprit plus subtile. La subtilité peut la rendre encore plus trompeuse, quand elle vient par l’ego. La seule réponse correcte vient d’une enquête véritable, motivée par l’amour de la vérité. Quand l’enquête devient authentique, l’amour amène la vérité elle-même à prendre en charge l’enquête. Alors, l’enquête se poursuit par ‘vidya-vritti‘ ou « la raison supérieure ». Ce n’est plus l’esprit qui exprime l’ego, mais plutôt la vérité elle-même, apparaissant sous la forme de questions perspicaces et de raison éclairée. …
*****
Dans l’enseignement de Sri Atmananda, « Je suis conscience » c’est la connaissance en identité, elle est la seule expérience réelle que quiconque n’ait jamais eu, dans n’importe quel état. Tout le reste n’est pas réellement expérimenté, mais juste superposée par une imagination trompeuse et des prétextes feints. Que l’identité de la connaissance est la connaissance directe (non objective) dont vous parlez. Elle est pleinement présente dans le sommeil profond, brillant par elle-même. Les perceptions, les pensées et les sentiments de l’état de veille et de rêve ne sont à aucun moment un obstacle. Ils ne montrent rien sauf la conscience auto-illuminatrice. Tous les actes de la perception, de la pensée et du sentiment sont illuminés par cette lumière brillante par elle-même. Chacun d’eux montre cette même lumière. La conscience n’est jamais réellement obscurcie ou dissimulée, mais semble seulement l’être. Toute obscurité ou couverture est tout à fait irréelle. C’est une apparence erronée, vue à travers une fausse perspective. La fausse perspective vient d’imaginer à tort que la connaissance est une activité physique ou sensuelle ou mentale effectuée par le corps, les sens ou l’esprit.
Ce ne sont que de telles activités qui vont et viennent – comme chacune apparaît parfois révélée, et disparaît à d’autres moments quand elle devient couverte par d’autres choses. Grâce à toutes ces activités, la lumière auto-éclairante de la conscience continue à connaitre parfaitement, totalement dégagée et non affectée par la présence ou l’absence d’activité.
*****
3.10 Selon Sri Atmananda, » l’ignorance sans commencement » est une notion de niveau inférieur. Elle est destinée à expliquer le monde, comme dans La théorie de l’illusion (maya) de Sri Shankara. L’Advaita proprement dit, n’est pas destiné à de tels explications théoriques, mais seulement pour une recherche sans compromis au retour dans la vérité, sous les irréalités du monde apparent.
Pour cette recherche dans l’advaita, Sri Atmananda a pris une position sans concession, pour qu’il n’y ait réellement pas d’ignorance, pas de réel recouvrement de la conscience, ni par l’éveil ni par les apparitions d’un rêve, ni par l’absence dans le sommeil profond. La conscience n’est pas dans la vérité obscurcie par les perceptions, les pensées et les sentiments, ni par leur disparition. Elle parait seulement obscurcie par la fausse perspective de l’ego physique ou mental, qui identifie faussement le soi connaissant avec le corps, les sens et l’esprit, confondant ainsi la conscience avec des activités physiques et sensuelles et mentales. C’est dans cette fausse perspective que le sommeil profond semble sombre, vierge et vide, quand ce qui y brille est sans compromis la réalité, la vraie connaissance et le bonheur sans faille. Tout ce qui est nécessaire est de corriger la perspective ; ne pas s’améliorer, ni empêcher des perceptions, des pensées ou des sentiments, ni éviter ce qui est perçu ou pensé ou ressenti dans le monde. En fin, c’est la perspective qui a besoin d’être purifiée, pas le monde. Ce nettoyage de perspective est le travail spécial du témoin prakriya, qui est le prochain sous-sujet de discussion.
***
Prakriya 4 – Witness of Thoughts – Le témoin des pensées
4.01 Dans l’énoncé « je suis conscience », il y a deux parties. Comme n’importe qui expérience le monde, ces deux parties se trouvent exprimées différemment. Le « je » s’exprime comme une personnalité changeante. Et la « conscience » s’exprime dans des perceptions changeantes de beaucoup d’objets différents.
Il en résulte deux autres prakriyas.
Une prakriya examine les perceptions personnelles, se reflétant dans leur témoin immuable.
L’autre prakriya examine les objets, les réduisant à la conscience.
Le témoin prakriya commence par une négation, comme décrit dans Quatrième point de Sri Atmananda pour la sadhana :
« Le corps, les sens et l’esprit ne sont pas toujours avec moi (examen des trois états). Je ne peux donc pas être le corps, les sens ou le mental. »
Ici, un processus d’élimination est commencé, pour distinguer ce qui est exactement le vrai soi. La véritable identité d’une personne est celle à partir de laquelle elle ne peut jamais être séparé, qui ne peut jamais s’éloigner. Tout ce qui peut être éloigné doit être éliminé de la considération d’être la vérité de soi-même. L’élimination est progressive. Cela commence par son identité physique, comme un corps dans un monde extérieur. Mais ce corps extérieur disparaît de l’expérience, dans les rêves et le sommeil profond. Même dans l’état de veille, le corps disparaît lorsque l’attention se tourne vers d’autres objets ou des pensées et des sentiments dans le mental. En fait, le corps qui perçoit un monde n’est présent que par intermittence, dans l’expérience réelle. La plupart du temps, il n’est pas présent. Dans quelques occasions, quand il apparaît, il est identifié comme le soi – prétendant ainsi qu’il reste présent tout le long, même lorsque l’attention se tourne ailleurs. Mais cette affirmation d’identité corporelle est clairement factice, dans l’expérience réelle. Lorsque l’erreur est réalisée, le corps est éliminé de son sens de soi. L’identité corporelle se révélant erronée, le sens de soi retombe dans le mental.
Alors le soi apparaît identifié comme celui qui pense un flux d’expériences de pensées, au fur et à mesure qu’elles se succèdent dans le cours du temps. A n’importe quel moment dans le flux, une seule pensée apparaît. Car à cet instant-là, il n’y a pas le temps pour penser à deux pensées ou plus. Il n’y a pas non plus dans ce seul instant le temps de penser à des choses différentes. Pour penser à plus d’une chose, il doit y avoir plus d’une pensée, ayant lieu à des moments différents.
Alors quand l’esprit pense à lui-même, il est la seule pensée du moment, dans un instant qui passe. L’attention, la plupart du temps, se tourne vers d’autres choses, puis l’esprit est parti. Dans son propre flux de pensée, l’esprit n’apparaît que de temps en temps – comme une pensée passagère de l’ego, où l’esprit se conçoit lui-même. Dans les occasions où cette pensée intermittente de l’ego apparaît, l’esprit l’identifie comme un soi qui connaît l’expérience. Cette pensée passagère de l’ego prétend ainsi qu’il continue d’une manière ou d’une autre, même lorsqu’il est remplacé par bien d’autres pensées qui ne cessent de lui succéder dans le temps.
Cette pensée de l’ego est contradictoire, confuse et absurdement exagérée dans ses prétentions. La plupart des personnes réalisent qu’il y a quelque chose d’absurde avec l’ego, dans la façon dont ils axent ce qu’ils voient et ressentent et pensent à leurs corps partiels et à leurs esprits changeants.
Mais alors, quel est le problème exactement ? Et comment pourrait-il être corrigé ?
Le problème est que lorsque le mental pense, il ne le sait pas vraiment. Les pensées du mental ne sont que des actes changeants, dont chacun détourne l’attention des autres. Chacun noie les autres avec ses vociférations bruyantes. Alors que ces pensées se remplacent, sachant qu’il y a continuité. C’est un témoignage silencieux qui est complètement détaché et impartial, pas du tout impliqué dans chaque changement d’action.
Le soi qui sait est ainsi un témoin silencieux de toutes les pensées qui vont et partent. Tandis que l’esprit et le corps accomplissent leurs actes, seul le témoin témoigne. Son témoignage n’est pas un acte changeant. Dans sa pureté et sa connaissance tranquille, il ne fait rien. Il reste juste le même, totalement inchangé, complètement libre et indépendant de ce qui est témoigné.
Par la simple présence de ce témoin silencieux, ce qui apparaît devient éclairé et enregistré. De ce témoignage, tout le monde dépend, pour toute mémoire et toute communication. Pour se souvenir ou pour communiquer, il doit y avoir du recul dans sa présence tranquille et consciente, qui est partagé en commun par tous les temps changeants et par les différentes personnalités. De là, tout est connu, impartialement et vraiment.
Ainsi, pour corriger les partialités et les confusions de l’ego, tous ce qu’il faut, c’est un changement de perspective, qui est achevé en réalisant que tout savoir se tient dans le témoin silencieux.
C’est la seule vraie perspective – se tenant comme le témoin silencieux, tout à fait détaché des pensées du mental, percevant les sens, ce que fait le corps, percevant la personnalité heureuse ou malheureuse. En fin de compte, le détachement ne vient pas de quelque chose de physique ou d’un changement mental, ni d’aucun renoncement forcé. Il vient juste en notant où en fait on se tient, comme il est décrit dans le Cinquième point de Sri Atmananda pour la sadhana :
« Il se trouve que je suis le connaisseur de tout. Par conséquent, je suis le témoin ou celui qui connaît. Étant toujours un connaisseur, je ne peux pas être un penseur, celui qui perçoit, celui qui agit, celui qui jouit ou celui qui souffre. »
C’est clairement une position qui est approuvée par les écritures traditionnelles de l’advaita. Dans de nombreux endroits, ils le font avec une importance différente, sur un témoin cosmique du monde. Mais ils permettent aussi une approche individuelle, qui d’abord réduit le monde à une succession de pensées dans le mental du sadhaka, puis il continue en demandant qui témoigne de ces pensées. Finalement, le témoin est bien sûr le même, qu’il soit cosmique dans le monde ou individuel dans la personnalité microcosmique.
Comme d’autres prakriyas, l’approche du « témoin » donne lieu à des confusions qui doivent être clarifiées. Une note (par Nitya Tripta) sur une confusion principale est ajoutée en post-scriptum.
4.02 Comment la confusion s’installe à l’égard du témoin
Supposons que vous soyez le témoin d’une pensée particulière. Un peu plus tard, vous vous souvenez de cette pensée et vous dites avoir eu cette pensée il y a quelque temps, assumant par-là que vous étiez le penseur quand la première pensée s’est produite, alors que vous étiez le témoin de cette pensée. Ce changement injustifié dans votre relation avec une pensée particulière, au moment où la pensée survient jusqu’au moment où vous vous souvenez d’elle, est seul responsable de toute la confusion en ce qui concerne le témoin. Lorsque vous semblez vous souvenir d’une pensée passée, c’est vraiment une nouvelle pensée par elle-même et qui n’a aucun rapport direct avec l’ancienne. Même lorsque vous vous souvenez, vous êtes le témoin de cette pensée du souvenir. Donc, vous ne changez jamais le rôle de votre témoignage, même si vos activités peuvent changer.
Notes on Spiritual Discourses of Sri Atmananda’, 04/09/1952, note 217.
Prakriya 4 (continued) – Conscience et Illumination
Q : 4.03 Une déclaration courante dans l’Advaita est : » Tout est conscience’.
Qu’est-ce que cela signifie exactement et comment est-ce lié à l’illumination ?
Par là, vous entendez évidemment que tout ce qui est perçu, la pensée ou le ressenti est la conscience, y compris les perceptions, les pensées et les sentiments bien sûr.
Autrement dit, en pensant au monde physique et mental, vous êtes capable de réduire tout objets physiques et mentaux aux perceptions, aux pensées et aux sentiments ;
et en retour, vous êtes capable de réduire toutes les perceptions, pensées et sentiments à quelque chose que vous appelez ‘conscience’. Et pourtant, vous sentez que cela ne suffit pas. Vous admettez que c’est juste une compréhension intellectuelle, et que quelque chose en plus est nécessaire c’est ce que vous appelez « l’illumination ». Eh bien, si vous voyez que « Tout est conscience« , alors une seule question logique peut rester. Qu’est-ce que la conscience elle-même ?
Vous concevez la « conscience » comme un élément central de votre compréhension, mais savez-vous exactement ce que l’on entend par ce concept central que vous utilisez ? De votre perplexité restante et de votre insatisfaction, évidemment pas.
Permettez-moi d’essayer de rendre la question plus précise. Quand quelqu’un est identifié comme un ego personnel, le soi qui sait est identifié à un corps limité et un esprit limité. En conséquence, par cette identité personnelle, la conscience est identifiée avec les activités physiques et mentales de la perception, de la pensée et des sentiments. Mais peut-il être correcte d’identifier la conscience comme ça ?
La conscience peut-elle à juste titre, être identifiée comme une activité physique ou mentale de quelque nature que ce soit ?
la conscience peut-elle être tout sorte d’activité pour que n’importe quel corps ou n’importe quel esprit puisse agir sur un objet physique ou mental ?
Est-ce que n’importe quel type de perception, de pensée ou de ressentir, peut être assimilé à la conscience ?
Dans le témoin prakriya, ces questions sont répondues par la négative. Le soi connaissant est soigneusement distingué du corps et de l’esprit. C’est une conscience non distraite et impartiale qui témoigne des activités distraites et incomplètes du corps, des sens et de l’esprit. Ainsi la conscience est soigneusement distinguée comme immuable et illimité, tout à fait distincte des perceptions, des pensées et des sentiments qui changent et qui sont limités.
Ici, dans le témoin prakriya, la conscience est abordée comme étant la connaissance silencieuse par l’illumination détachée. Elle est totalement détachée des perceptions bruyantes, des pensées et des sentiments qui distraient l’attention du mental au fur et à mesure qu’ils vont et viennent. Elle est détachée d’eux, bien que ces perceptions ne puissent pas exister même pour un instant quand elles sont détachés de la conscience. Chacun d’eux disparaît complètement, au moment même où elle se sépare de la conscience illuminatrice. C’est pourquoi elles apparaissent et disparaissent – alors que la conscience demeure, comme leur unique réalité. Même lorsqu’une perception, une pensée ou un sentiment apparait, il n’est pas différent de la conscience. Car il a alors été pris dans la conscience, où toute séparation apparente est aussitôt détruite.
Sans la conscience, aucune perception, aucune pensée ou aucun sentiment ne pourrait apparaître. Mais l’instant d’une perception ou d’une pensée ou d’un sentiment vient à la conscience, il est immédiatement pris en charge et n’est pas séparé du tout. Il s’avère donc que la séparation du témoin est une séparation d’apparence seulement. Cette séparation même conduit à une réalité non-duelle de la conscience inaffectée, où aucune séparation ne peut rester. C’est seulement alors que la conscience est clairement réalisée, connu exactement tel qu’elle est, identique à elle-même. Si le témoin impersonnel n’est pas séparé de l’ego personnel, il reste un danger dans votre affirmation selon laquelle « Tout est conscience. »
Afin de bien comprendre l’énoncé, chaque perception, chaque pensée et chaque sentiment doivent être considérés comme rien d’autre que la conscience. Toutes les perceptions, les pensées et les sentiments différents doivent être réduit à la conscience. Ils doivent tous être considérés comme les apparences ou les expressions, qui montrent ou expriment la réalité de la conscience.
Le danger est que la déclaration puisse être mal interprétée, en faisant la réduction à l’envers. Alors la conscience est faussement limitée, en la réduisant à quelque chose d’inventé, sur la perception, la pensée et le sentiment. En particulier, la conscience peut être conçu comme un mental absolu, par un esprit qui met ensemble toutes les perceptions, pensées et sentiments dans son imagination limité. Ou, plus subtilement, la conscience peut être conçue comme une autre perception, pensée ou sensation de tout, qui reste encore à découvrir par le mental.
Dans les deux cas, une conception limitée du mental essaie de concevoir une conscience illimitée. Il s’agit clairement d’une erreur. Bien sûr, l’absence d’une telle pensée ou d’un tel sentiment mettrait la conscience au-delà de l’imagination de l’esprit. Mais ne pourriez-vous pas prendre du recul par rapport au mental, pour une connaissance dans l’identité où la conscience est votre propre soi ?
Dans cette connaissance, il n’y aurait rien entre ce qui sait et ce qui est connu. Et donc il ne pourrait y avoir d’erreur. Cette connaissance n’a pas à être rappelée du passé, ni imaginée comme quelque objectif futur. Elle est pleinement présente maintenant ; et elle est trouvée simplement en prenant du recul par rapport aux actes apparents de l’esprit et du corps, dans le soi qui les connaît.
Le témoin prakriya est spécialement conçu pour finir de prendre du recul par rapport aux confusions de l’ego. Le problème de l’ego est qu’il confond négligemment la conscience avec des apparences limitées de perception, de pensée et de sentiment, au lieu de discerner correctement la véritable identité entre eux. Selon l’advaita, s’il ne restait rien de cette confusion, vous auriez atteint l’illumination. Sinon, le témoin prakriya pourrait vous aider.
……………….
4.04 Il y a une citation que Sri Atmananda a faite du poète Alfred Tennyson.
Il s’agit de la dissolution de la personnalité dans « the only true life ». Et c’est pertinent pour la question que nous avons discutée, à propos de la dissolution des perceptions, des pensées et des sentiments dans la conscience elle-même. Voici le passage cité
« … une sorte de transe éveillée, je l’ai souvent eu, assez forte à partir de mon enfance, quand j »étais seul. C’est venu généralement sur moi en répétant mon propre nom deux ou trois fois pour moi-même, silencieusement, jusqu’à ce que tout à coup, comme hors de l’intensité de conscience de l’individualité, l’individualité elle-même semblait se dissoudre et s’évanouir dans l’être sans limite ; et ce n’est pas un état confus, mais le plus clair des plus clairs, le plus sûr des plus sûrs, le plus étrange des plus étranges, totalement au-delà des mots, où la mort était presque une impossibilité risible, la perte de personnalité (si c’était le cas) ne semblant pas s’éteindre, mais c’est la seule vraie vie … »
(extrait d’une lettre de Tennyson à M. R.P. Blood, citée dans le livre ‘Atmananda Tattwa Samhita’ qui transcrit des conversations enregistrées de Sri Atmananda)
4.05 Sri Atmananda introduit cette citation en disant :
» Allez au-delà de toutes les personnalités, puis vous arrivez à l’Individu. Là commence la vraie vie, comme l’a magnifiquement dit Tennyson. «
Ici, Tennyson décrit un état qui a été induit en répétant son propre nom, le nom qui représente son individualité. Cela a provoqué une « intensité de conscience de l’individualité » ; et à partir de cette intensité, l' »individualité elle-même semblait se dissoudre et s’évanouir dans l’être illimité ». ‘Cet être illimité’ est bien sûr le ‘tout’, dans votre aphorisme : « Tout est conscience ».
Sri Atmananda a fait remarquer que cet ‘être’ a encore une souillure en lui, parce qu’il implique encore une conception d’un monde de choses qui s’additionnent en un « tout » illimité. Il y a toujours là un sens de choses supplémentaires à la conscience – soit un monde extérieur, soit amené de l’extérieur. Quand il est vraiment réalisé qu’il n’y a rien à l’extérieur de la conscience, alors il ne peut rien y avoir qui ajoute en condition ou en qualité de quelque nature que ce soit à la conscience – ni en envoyant aucune influence de l’extérieur, ni en les amenant à l’intérieur. Sans un tel ajout, il ne peut y avoir ni bornes ni limites à la conscience ; et donc elle ne peut pas avoir de sens de « limité » ou d’’illimité » ou du ‘tout’. Alors, selon Sri Atmananda, cet ‘être illimité’ n’est pas le bout de chemin, mais il reste une dernière étape de transition, avec une dernière souillure restante qui se dissout dans la fin finale. La fin est décrite lorsque Tennyson poursuit en disant que :
» ce n’est pas un état confus, mais le plus clair des plus clairs, le plus sûr des plus sûrs, le plus étrange des plus étranges, totalement au-delà des mots, où la mort était presque une impossibilité risible, la perte de la personnalité (si c’était le cas) ne semblant pas s’éteindre, mais étant la seule la vraie vie « .
Pour l’instant, le sens d’un « tout » quelque peu flou a donné le chemin vers une clarté de conscience complètement pure, totalement au-delà de tous les mots et des conceptions mourantes. Et là, au-delà de toute mort apparente, sa pureté éclatante est pleinement positive, comme « la seule la vraie vie ». Quand les perceptions, les pensées et les sentiments apparaissent, cette pure conscience est présente comme leur témoin non affecté. Chaque perception, chaque pensée ou chaque sentiment est un passage et une mort apparente. Cela ne se voit qu’un instant, car il cède la place à la prochaine apparition. Ainsi, alors qu’il s’éteint dans la disparition, s’ensuit instantanément un moment hors du temps, avant que l’apparence suivante soit apparue. Dans cette intemporalité, la conscience brille par elle-même, comme la source vivante d’où l’apparence suivante vient. Ce pur éclat est le moi vivant, le seul, la vraie vie, d’où toutes les choses supposées éclatent en apparence.
Prakriya 4 (continued) – La mémoire
4.06 Je me posais des questions sur la mémoire. Quand on regarde les événements de sa vie, on est conscient que « quelque chose » a toujours été là, consciente de l’événement. Ce que je ne peux pas comprendre c’est comment l’événement est « enregistré », bien que cela soit clairement le cas.
‘Illuminé’, dans le moment présent, je peux comprendre, mais comment l’événement est-il enregistré ? D’une certaine manière, il semble que le concept de temps s’inclut, et ma compréhension est que la connaissance n’est pas limitée par le temps. Je ne sais pas si ma question a du sens ? ….
R : La question a du sens, du moins pour moi. C’est une question très perspicace, mais aussi difficile. Elle peut être considérée à différents niveaux. Si vous souhaitez tenter une réponse simple qui se concentre sur le niveau de la connaissance, lisez juste le paragraphe suivant puis passer aux trois derniers paragraphes de ce message. Si vous souhaitez une description plus détaillée par une tentative intellectuelle, en allant plus à travers les niveaux du mental, vous pouvez lire le passage entre les deux.
Au niveau de la connaissance, comme vous le soulignez, il n’y a pas de temps. Alors il ne peut pas y avoir de mémoire ou d’enregistrement. Il n’y a pas de passé, ni futur, ni aucun présent qui s’y oppose. Il n’y a qu’une illumination pure, en elle-même. C’est cela que votre question pointe mais la question et ses idées doivent se dissoudre complètement en cours de route, avant la connaissance intemporelle qu’elle vise puisse être atteinte. Au niveau des idées limitées par le temps, il y a le paradoxe que vous décrivez. Un témoin immuable éclaire tranquillement ce qui se passe, avec sa lumière toujours présente ; mais comment peut-il faire un enregistrement qui persiste dans le temps, sauf par quelque action modifiante qui imprime les événements passés sur un dossier objectif – comme en écrivant les choses sur un morceau de papier ? En fait, si l’on examine attentivement les enregistrements objectifs, comme écrire des symboles sur du papier ou faire des configurations codées dans un ordinateur électronique ou dans un cerveau plus sophistiqué, de tels enregistrements ne peuvent résoudre le problème de la mémoire. La mémoire doit être interprétée par le mental, de manière à faire d’une perception passée, une pensée ou un sentiment présent. Et pour cette interprétation, un témoin permanent est implicite, partageant en commun l’expérience passée et son souvenir actuel. Pour que des mots sur papier ou des configurations dans le cerveau rappellent une mémoire que j’avais dans le passé, le même « je » qui est ici maintenant, doit également avoir été présent dans le passé – témoin de ce qui s’est passé alors et de ce qui est maintenant rappelé. Il n’y aurait aucun sens dans le mot ‘rappel’ s’il ne s’agissait pas d’un rappel au même témoin.
Où la perception, la pensée ou le sentiment de quelqu’un d’autre est appelé dans l’esprit, ce n’est pas la mémoire directe, mais une mémoire d’une communication plus indirecte, plus douteuse à interpréter. Si deux différents témoins sont impliqués, ce n’est pas correctement ‘un rappel’ ou ‘rappeler’, mais plutôt ‘appeler’ ou ‘appeler en avant’ d’un témoin à un autre.
Nous revenons donc avec le même problème. Comment tout changement d’enregistrement peut être fait par un témoin qui n’est pas du tout impliqué dans n’importe quel changement, mais reste le même ? La réponse est que le témoin ne fait pas d’enregistrement. Il permet uniquement à l’enregistrement d’être fait, par sa simple présence qui continue à travers l’expérience. Le témoin ne connaît pas à partir d’un changement de point de vue d’un mental changeant, mais depuis l’arrière-plan immuable, en dessous. C’est de là que les apparences de l’esprit et du monde surgissent. Ils apparaissent comme des sentiments, des pensées et des perceptions – chacun exprime la conscience, à travers des compréhensions conditionnées et la mémoire accumulée du passé. Mais alors, dès qu’une apparence est exprimée, elle devient interprétée et prise en compte – réfléchissant à travers sa perception, sa pensée et son sentiment dans la conscience sous-jacente. Sa forme apparente et son intention sont perçues par le sens, son sens et sa signification sont interprétés par la pensée, sa qualité et sa valeur jugées par le sentiment – au fur et à mesure qu’elle est comprise et ramenée au calme dans la conscience, où elle est complètement dissoute. De cette même conscience tranquille, d’autres sentiments, d’autres pensées, d’autres perceptions se lèvent, exprimés à travers un nouvel état de compréhension et de mémoire – qui intègre désormais l’apparition récente qui vient d’être exprimée par la conscience et la reflète encore. Ce cycle d’expression et de réflexion continue, répétant à chaque instant, produisant l’impression d’un esprit avec une mémoire et une compréhension continue qui permettent à ses perceptions, ses pensées et ses sentiments d’accumuler un nombre croissant de connaissances du monde. Mais, en fait, l’impression est tout à fait fausse. A chaque instant, le monde est entièrement recréé à partir d’une conscience dans laquelle il n’y a vraiment pas de perceptions, de pensées ou de sentiments ni aucune mémoire ou accoutumance ou conditionnement.
Dans cette conscience, il n’y a jamais de temps pour que des perceptions se forment, ni de mémoire pour continuer. A chaque instant apparent, il y a une création instantanée du monde, avec un objet limité apparaissant au centre limité de l’attention du mental et le reste du monde imaginé pour être compris dans le contexte de l’expérience. Et à ce moment très précis (ou si vous préférez immédiatement après), quand l’apparition est interprétée et prise en compte, il y a aussi un instantané et une complète destruction à la fois de l’objet apparent et du monde qu’il contient.
Donc il n’y a pas de vrai souvenir, pas de vraie continuité, dans les éclairs bruyants d’apparition qui semblent continuer à s’élever de la conscience et retomber. La seule continuité est intemporelle et immuable, dans le calme de l’arrière-plan où le témoin connaît toujours. C’est la seule connexion entre différents instants. Et c’est une connexion qui détruit complètement toute différence, de sorte qu’il n’y a rien à connecter. En fin de compte, pour l’advaita, il n’y a qu’une seule bonne direction de raisonnement. Il faut toujours passer des apparences à la vérité. Ce ne peut pas être l’inverse à juste titre. La vraie raison est qu’on ne peut pas faire dériver les apparences compromises de l’esprit et du monde à la vérité.
Votre question sur la mémoire a été simplement posée et la meilleure réponse est simplement qu’il n’y a pas de véritable mémoire, mais seulement une apparence trompeuse d’enregistrement mental et de rappel. Où il y a un vrai enregistrement, ce n’est pas mental. Au lieu de cela, c’est une prise arrière de ce qui est perçu dans le cœur. C’est littéralement ce qui est signifié par le mot ‘enregistrement’. ‘Re-‘ signifie ‘dos’ et ‘-cord’ signifie ‘heart’ (lié à l’anglais ‘core’ et au latin ‘cor’ ou ‘cordis’). Ainsi, enregistrer véritablement signifie ramener ce qui est exprimé dans la profondeur du cœur, où toute expression est dissoute dans la pure connaissance qui reste inchangée à travers tout le temps apparent. C’est le vrai enregistrement du témoin silencieux.
4.07 Dans la distinction de purusha-prakriti, le témoin est la conscience inactive de purusha. Et les apparitions qui vont et viennent sont l’œuvre de la prakriti ou de la nature. Bien que le témoin n’agisse pas, toutes les actions sont inspirées par sa présence connaissante. Elles apparaissent de lui, spontanément et naturellement, en l’exprimant par les apparences du mental et du monde. Ce surgissement de l’expression montre des apparences, qui sont vues en reflétant l’illumination du témoin. Comme l’illumination est réfléchie, chaque apparition physique et mentale est interprétée et reprise dans la conscience. Cette absorption est l’enregistrement des actions de la nature. Pour chaque événement ou action qui apparaît, son enregistrement prend tout pour les redescendre, dans les profondeurs du cœur – jusqu’à la conscience elle-même, dans lequel toute action apparente doit se dissoudre.
Prakriya 4 (continued) –La Raison supérieure et la Raison inférieure
4.08 Dans l’approche de Sri Atmananda, de ‘vicAra‘ ou ‘du questionnement’, il distingue deux aspects de « raisonnement ». L’usage fondamental de la raison est pour questionner, elle n’est pas pour une description ou une explication. La description et la raison explicative sont la ‘raison inférieure’ – qui est simplement auxiliaire, entièrement inféodée à la « raison supérieure » appelée ‘vicAra‘ ou ‘vidyA-vRRitti’.
Dans le questionnement raisonné de vicAra, ses questions motivées sont elles-mêmes des expériences pratiques. Aucune autre pratique n’est prescrite pour chercher la vérité. L’interrogatoire est motivé par l’expérience qui met les idées et la théorie en pratique. La raison est ici utilisée pour retourner chaque question sur leur propre hypothèse. Lorsqu’une question est véritablement retournée, sur ses propres croyances confuses et contradictoires, le chercheur est alors jeté dans un autre état, où une nouvelle compréhension est atteinte. C’est l’expérience pour trouver une nouvelle compréhension en examinant son questionnement, et encontinuant de questionner plus avant, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune confusion pour compromettre ce qui est compris.
Ce processus d’enquête passe par différents niveaux. Le questionnement commence à un niveau où des contradictions déroutantes sont mélangées, entre des hypothèse et des croyances, qui forment une image du monde.
En admettant ces contradictions, elles sont portées au grand jour et sont alors considérées comme une erreur. L’acceptation de ces contradictions conduit à une nouvelle compréhension, qui donne lieu à une image plus subtile à un niveau plus profond. Alors qu’un examen plus approfondi révèle les obscurités et les conflits qui subsistent, leurs acceptations conduisent plus subtilement vers des niveaux plus profonds. Le processus ne peut pas se terminer correctement tant qu’il reste une image qui donne l’impression d’une couverture illustrée, sur le niveau du dessous. La seule fin ne peut être que l’arrière-plan lui-même, où aucun revêtement ne subsiste à aucun niveau, sans la moindre image. C’est seulement là que les obscurcissements et les conflits se terminent.
En bref, le raisonnement de cette enquête est un processus qui commence par l’acceptation d’une confusion conflictuelle ; et qui continue en répétant l’acceptation à travers une série de niveaux plus subtils – jusqu’à ce que les conflits et les confusions soient complètement dissous, à tous les niveaux de leur questionnement.
Chaque prakriya de l’advaita passe par cette réflexion et ce processus de dissolution, comprenant aussi l’idée du témoin et les prakriyas de la conscience que nous avons discutés.
Le témoin prakriya est comme « utiliser une épine pour se débarrasser d’une autre épine ». Le concept de « témoin » est comme une grande épine, utilisée pour enlever la petite épine du petit ego. La grosse épine doit aussi être enlevée, pour atteindre son but. Mais il en va de même pour le concept de la « Conscience » ou pour toute autre idée. La « Conscience » est aussi une grosse épine, encore plus grosse que le témoin.
Ce n’est pas seulement le concept de témoin qui doit être complètement dissous, pour atteindre la vérité. Il en est aussi pour l’idée de la Conscience – apparaissant sous n’importe quelle forme, signifiée par n’importe quel nom, devinée par n’importe quelle qualité. Dans la vérité même, pas la moindre trace de concepte ne peut subsister.
4.09 Regardons la conscience prakriya, examinée dans ses différents niveaux.
Au niveau du départ – du corps dans un monde extérieur – les perceptions, les pensées et les sentiments sont des interactions physiques, entre des objets et un corps physique (avec son cerveau physique et ses sens et d’autres systèmes corporels). De telles interactions objectives sont clairement différentes de la conscience subjective. Ici, A est différent de B et B de A.
Au niveau intermédiaire – de l’esprit qui conçoit – les perceptions, les pensées et les sentiments sont des expériences mentales, qui viennent comme un ruisseau qui passe. Ces apparences mentales ont deux aspects contradictoires.
D’une part, quand cela est vu à la surface de l’esprit, Ces apparences mentales sont des actes changeants de l’esprit qui les conçoit. En tant que telles, ces apparences sont différentes de la conscience qui les porte en dessous d’elles, car elle connaît toutes leurs allées et venues. Dans ce sens superficiel, elles ne sont pas égales à la conscience. Ainsi, A n’est pas égal à B. Au contraire, lorsqu’on les considère plus profondément, on comprend que chacune d’elles est l’expression de leur conscience sous-jacente. Chacune étant une apparence de la même conscience, qui est leur seule réalité. Dans ce sens plus profond, chacune d’elles n’est rien d’autre que la conscience. C’est ce qu’elles sont vraiment – chacune individuellement et toutes ensemble. Ainsi, il s’avère que A = B, même si B (la Conscience) était précédemment distinguée comme différente de A (perceptions, pensées et sentiments).
Ces aspects contradictoires dépendent de la façon dont l’esprit pense à lui-même – ce qui montre qu’il y a quelque chose véritablement et essentiellement assez faux dans sa conception de soi. Quand ceci est complètement admis, l’esprit abandonne toutes ses conceptualisations auto-imaginées, et il se dissout complètement dans sa Conscience sous-jacente. Cet abandon conduit enfin à une vérité non conflictuelle.
C’est seulement là que la conscience est véritablement connue comme identique à ses apparences. C’est seulement là, que A = B et B = A, sans réserve. Mais là, toutes les perceptions, les pensées et les sentiments sont parfaitement connus et totalement dissous. Ils n’existent pas là, une façon qui puisse être vue ou pensée ou ressentie par le mental. Cela signifie juste que cela ne peut être découvert qu’en y allant soi-même. Cela ne peut pas être découvert en regardant depuis n’importe quel fauteuil, mais que par une remise en question impitoyable de ses propres hypothèses – jusqu’à ce que toute trace de compromis soit abandonnée, jusqu’à une complète et absolue dissolution dans sa propre réalité.
4.10 Est-ce que le mot « apparence » implique une sorte de distinction avec la conscience elle-même ? Y a-t-il une différence entre la conscience et une ‘apparence de la conscience’ ?
R : Encore une fois, la réponse dépend du niveau auquel elle est répondue.
Au niveau du mental superficiel, je répondrais oui, une distinction est implicite et il y a une différence. Et la différence doit être discernée, pour clarifier la confusion inhérente du mental à la conscience avec des apparences que cet esprit même imagine pour être différent de la conscience. L’esprit se trompe lui-même et se contredit ainsi dans sa confusion. Seul un discernement clair peut régler ce désordre.
En discernant une conscience continue, qui est la base du passage des apparences, un sadhaka est capable de se refléter plus profondément dans les profondeurs de l’esprit, jusqu’à ce que cette conscience reste tout à fait inchangée dans l’arrière-plan final. Mais là, toutes les apparences sont prises dans la conscience, où toutes leurs différences apparentes sont complètement dissoutes. Alors, dans cet arrière-plan final, non, il n’y a aucune implication, aucune distinction et aucune différence. Mais il n’y a pas non plus d’apparence.
La question qui a été posée se révèle donc être erronée, basée sur des hypothèses absurdes. Et c’est en les regardant profondément et voyant leur absurdité que la conscience peut être correctement comprise.
De telles questions aident un sadhaka en les retournant sur elles-mêmes et les abandonnant ainsi à la vérité.
4.11 Citations pertinentes de Sri Atmananda
« Les mondes grossiers et subtils (physiques et mentaux) ne peuvent être séparés de la connaissance (conscience) à tout moment. Par conséquent, ils ne sont rien d’autre que la Conscience. »
Extrait de l’article « World », publié dans ATMA NIRVRITTI.
La perception, la pensée ou le sentiment est connue de vous. Vous êtes le connaisseur du monde à travers les organes des sens, ou des organes des sens à travers l’esprit générique, et du mental et de son activité ou sa passivité seulement par vous . Dans toutes ces différentes activités, vous vous tenez comme le seul Connaisseur. Les actions, les perceptions, les pensées et les sentiments vont et viennent. Mais la connaissance ne se sépare pas de vous-même pour un instant.
Notes sur les entretiens spirituels de Sri Atmananda,
Dialogue du 24 décembre 1950, « Comment suis-je le témoin ? »
Le mental est la partie la plus essentielle du monde et il entre dans la fabrication du monde lui-même.
1er oct. 1951 : 282 « L’esprit et le monde «
Q : Quelle est la signification de l’intérieur et de l’extérieur ?
(dans le contexte spirituel)
Atmananda :
L’Expérience et les connaissances sont à l’intérieur – Comment leurs objets peuvent-ils être à l’extérieur ?
3 mai 1958 : 46 «
Q : Que signifie « à l’intérieur »
Atmananda :
« À l’intérieur » signifie strictement non séparé de Soi. L’expérience est donc le soi.
……….
Sri Atmananda n’utilise pas le mot ‘témoin’ dans le sens d’un ‘témoin individuel’ :
Le « soi individuel » est un « jIva » personnel. C’est un ‘jIva– Atma‘ apparent, avec un ‘jIva–sAkShin‘ apparent. Le ‘sAkShin‘ ou ‘témoin’ ici n’est pas tout à fait impersonnel. Il est encore associé à personnalité d’une manière qui le rend différente d’une personne à une autre. La position ici s’apparente à vishiShtAdvaita et sAMkhya. Ce n’est pas le témoin qui est décrit au sens strict d’advaita, au plus haut niveau des enseignements de Sri Shankara.
Ce témoin est complètement impersonnel, selon Sri Atmananda. C’est le même à tous les différents moments dans l’expérience de chaque personne, donc il est aussi le même d’une personne à l’autre.
« Bien que le témoin soit identique à Brahman, mais comme il se manifeste comme possédant la limite attachée au mental, il est considéré comme différent selon les différents esprits. »
Swami Madhavananda
Ici, si vous notez les mots « il est considéré comme être différent« , peut-être voyez-vous qu’ils pourraient être amenés à indiquer une différence qui n’est pas réelle, mais seulement une apparente attribution « selon les différents esprits ».
4.14 Selon Sri Atmananda, le témoin n’est pas l’intellect doué de discernement.
Au lieu de cela, le témoin est le même principe connaissant qui illumine tout discernement. Il est tout à fait impersonnel, au-dessous de toutes les différences de nom et de forme et qualité.
Bien que les personnalités soient perçues comme ayant des noms, des formes et des qualités, une telle différence ne peut être discerné dans le témoin. Il n’y a aucun moyen de discerner le témoin comme différent dans différentes personnalités. Pour ce discernement même des différences personnelles impliquent un témoin qui reste présent à travers leur variation d’une personne à l’autre, tout comme il reste présent d’un instant à une autre. Ce témoignage est donc commun à toutes les personnalités, n’importe quand et n’importe où. Il est le même universellement, comme il l’est individuellement.
C’est la base commune de toute entente entre différentes personnes, tout comme il est la base commune de tous les différents souvenirs et de tous les événements anticipés dans l’esprit de chacun.
4.14 Cette présence commune du témoin est illustrée dans l’un des « Notes sur les entretiens spirituels de Sri Atmananda » par Nitya Tripta (11 novembre 1952, # 375) :
« …Shakespeare, dans ses drames, a créé divers personnages de modèles typiques de conflit, chacun avec une perfection possible jusqu’à la seule perfection. Un écrivain qui a une individualité et un caractère qui lui sont propres ne peut représenter avec succès que des personnages d’une nature proche de la sienne. Seulement celui qui se tient au-delà de tous les caractères, ou dans d’autres mots qui se tient comme témoin, peut être capable d’une si merveilleuse performance comme l’a fait Shakespeare. C’est pourquoi je dis que Shakespeare devait être un jivan-mukta. »
Prakriya 4 (continued) –La connaissance
4.15 « Que savons-nous quand nous savons ?
La triade est-elle le connaisseur, connaissant et le connu’
ou est-ce connaitre,connaitre et connaitre ?
Est-ce important, si tout est en fin de compte dans la Conscience (l’Absolu), que la Conscience de l’individu est celle d’un objet extérieur ou indirectement de cet objet externe via un état de conscience ? »
R : Sur le statut du mental et des objets, la position de Sri Atmananda est très claire.
Elle est résumée dans Atma Darshan,
3 . 1 : « La conscience qui va vers les objets s’appelle le mental.
Ce qui se tourne vers le Soi est pur sattva.’
Comme l’indique la première phrase, c’est par le mental que les objets sont connus. Un objet n’est jamais connu directement, mais toujours à travers le mental. Ainsi, dans la triade « le connaissant, connaissant, le connu », l’esprit est toujours impliqué dans le terme du milieu de la triade. Et cela fait la connaissance indirecte d’un objet, éloignant ainsi l’objet connu du moi qui sait. Cet éloignement du connaissant et du connu est dvaita ou la dualité.
Le chemin de l’advaita est indiqué dans la deuxième phrase : « Ce qui se tourne vers le Soi est pur sattva.’ L’esprit tourné vers l’extérieur est jugé trompeur et insuffisant. Ce qu’il prend pour la connaissance n’est pas vraiment la connaissance en soi. Au lieu de cela, c’est une confusion de la connaissance avec l’ignorance, qui produit une apparence compromise et trompeuse de la vérité mêlée à l’erreur. Non satisfait de ce spectacle extérieur, de ce semblant de connaissance par le mental, le pur sattva ou la raison supérieure se retourne vers le soi qui sait.
En se retournant vers soi, le terme du milieu de la triade est coupé. Le savoir cesse d’être indirect. Il cesse d’être sorti du mental. Au lieu de cela, il reste à l’intérieur, comme la connaissance non duelle du vrai soi. Là, le connu et le connaissant sont identiques. En coupant le terme du milieu, du mental dualiste, la triade devient une dyade – du connaisseur et du connu, sans rien entre les deux pour les distancer. La dyade s’effondre alors d’elle-même, dans une vérité du soi le plus profond où aucune dualité n’est connue.
Du point de vue de cette vérité ultime, à la fois le monde extérieur et le mental intérieur sont irréels.
La réalité relative du monde extérieur dépend de l’esprit intérieur, à travers lequel le monde est connu. Se tenant toujours dans le mental, le monde extérieur se révèle être un artefact (artifice) intérieur, conçu à l’intérieur du mental. Mais alors, n’ayant ainsi plus d’extérieur, l’esprit n’a pas non plus d’intérieur. Le mental s’avère irréel et contradictoire. Il se prend lui-même en tant que conscience allant vers le monde. Et ce même monde n’est jamais « à l’extérieur », comme l’esprit l’imagine. Ainsi la conscience en fait, ne va pas à l’extérieur, et l’esprit se trompe lui-même. C’est un spectacle irréel, une ruse trompeuse de fausse apparence que son auto-tromperie lui donne l’impression d’être.
Cette position est la même que celle de Sri Shankara, pour autant que je sache. En fin de compte, la position idéaliste s’avère erronée. L’advaita stricte n’est pas idéaliste, mais complètement réaliste.
Mais paradoxalement, ce réalisme non-duel est atteint par la fin du dualisme idéaliste du mental. Quand celui qui connait est complètement séparé du connu – afin que leur confusion soit complètement éradiquée – là l’advaita est atteint.
Après être allé dans le monde apparent à travers un esprit qui se trompe lui-même, le seul moyen de revenir à la vérité est d’y revenir par l’esprit, clarifiant ainsi l’erreur du mental qui se dissout dans cette vérité où le soi se trouve toujours en harmonie avec toute la réalité.
4.16 En rapport à la discussion actuelle sur le témoin et le l’esprit, trois notes sont jointes ci-dessous de Sri Nitya Tripta ‘Notes sur les entretiens spirituels de Sri Atmananda’.
Qu’est-ce que la connaissance du témoin ?
La connaissance du témoin est pure Conscience. Mais l’activité mentale de connaitre apparaît toujours sous la forme de la relation sujet-objet. Lorsque vous êtes témoin, vous êtes dans votre véritable la nature.
La mentation apparaît à la lumière du témoin. La lumière dans le la connaissance du mental est elle-même le témoin. Il n’y a pas d’intention dans le témoin. L’état du témoin est le même que celui du sommeil profond et la Conscience pure.
1er juillet 1954 – 49.
Le témoin n’est-il pas unique ?
Non. Ce n’est ni unique ni plusieurs, mais au-delà des deux. Quand vous dites qu’il n’est qu’un, vous vous tenez dans le domaine mental comme un ego étendu et inconsciemment se référant au multiple.
8 mars 1955 – 13.
Quelle est la signification des trois états ?
1. L’état de veille représente la diversité dans toute sa nudité. La philosophie « réaliste » (ou matérialiste) se base sur la réalité apparente de cet état.
2. L’état de rêve (état mental) montre que c’est toute la multiplicité de l’un.
Les philosophes idéalistes fondent leur philosophie sur la réalité relativement plus grande de l’esprit, comparé aux objets des sens.
3. L’état de sommeil profond : La seule vérité est la non-dualité absolue. Les Vedantins dépendent de l’expérience du sommeil profond pour exposer la Vérité ultime, la véritable nature de l’Homme.
29 mars 1956 (1138) 17
Prakriya 4 (continued) – Autres commentaires sur le sommeil profond
4.17 Comment peut-on dire que nous sommes conscients pendant le sommeil profond ? Quand on n’est au courant de rien.
R : La conscience n’est pas définie par opposition à l’ignorance ou l’inconscience ; on la trouve pleinement présente dans tous les états qui sont considérés comme conscients ou inconscients ou comme un mélange des deux. C’est pourquoi il y a ni manque de réalité ni manque de conscience dans l’état de sommeil profond, qui est considéré comme « vide » et « inconscient ». Ce ne sont que des objets apparents qui manquent dans le sommeil profond. C’est-à-dire, c’est l’état dans lequel il n’y a pas « conscience des objets ». La prétendue « inconscience » ici n’est pas seulement « inconscience », mais plutôt une « inconscience des objets ». C’est la conscience sans objet – sans mélange avec aucun objet qui est considéré comme différent d’elle.
En conséquence, bien que nous considérions le sommeil profond comme un « vide » ou un état « inconscient », il n’en est pas vraiment ainsi. Au contraire, c’est l’état dans lequelle toute la réalité est présente par elle-même – connue pleinement et directement comme pure conscience, dont l’être même est de savoir. Aucun mélange ou aucune confusion y apparaît, c’est l’état de la pure non-dualité.
Dans le rêve et l’état de veille, cette simple non-dualité apparaît comme une manière mélangée – comme une existence relative d’objets limités qui sont partiellement connus par la conscience. Ainsi apparaissent les existences relatives de différents objets , et les actes de connaissance que nous appelons « conscience des objets ». Bref, la variété est produite par des confusions d’apparences, qui se superposent sur ce qui est non mélangé et non duel.
Dans le sommeil profond, ces confusions sont supprimées, ne montrant que la réalité non mélangée de la conscience qui est pleinement présente dans ce qui est considéré comme réel ou irréel, conscient ou inconscient.
4.18 Où s’inscrit le « kAraNa sharIra » (le corps « causal ») en cela ?
R : Sri Atmananda serait tout à fait d’accord que suShupti *avasthA*, comme l’état de sommeil profond est dans le domaine phénoménal de la personnalité.
La vérité appelée ‘turIya‘ n’est pas un état. Dans l’état de sommeil profond, la vérité est trouvée briller seule, comme le soi qui seulement connaît et dont la connaissance est son être même, sans apparence pour en détourner l’attention.
Le kAraNa sharIra est l’une de ces apparences distrayantes. Il n’est pas vraiment présent dans le sommeil profond, mais seulement surimposé au sommeil profond par une conception confuse de l’esprit de l’état de veille ou du rêve.
Le kAraNa sharIra est tout simplement la profondeur « inconsciente » de l’esprit, au niveau d’intégration de l’Ananda-maya kosha. Il est cette fonction mentale qui est nécessaire pour assembler les actes essentiellement fragmentés de l’esprit de conception limitée et partielle. Nous pensons à cette profondeur « inconsciente », de l’état de veille et dans les rêves, pour expliquer comment il se fait que nos esprits semblent capables de coordonner leurs pensées, leurs sentiments et leurs perceptions.
En bref, le kAraNa sharIra est une explication dans le domaine concevant l’esprit, et donc d’être distingué de l’Atma ou du vrai soi. Le karaNa sharIra est une simple conception de l’esprit, apparaissant seulement dans les états de veille et de rêve. Il n’apparaît pas dans l’état de sommeil profond – où il n’y a pas apparences, mais seulement la vérité ou l’Atma en soi. En fait, c’est seulement de cette vérité que vient toute la coordination.
Le kAraNa-sharIra « inconscient » n’est qu’un inexplicable explication, qui doit se dissoudre complètement dans la réalité de l’expérience du sommeil profond. Dans cette expérience, il ne peut rester aucune sensation d’état changeant. Tout ce qui reste est le pur soi qui brille dans sa propre gloire, comme il l’est toujours, il n’est absolument pas affecté par tous les changements apparents d’états apparents.
Ce soi est ce que la Mandukya Upanishad appelle « turIya ».
Lorsque les yogis parlent de ‘turIya‘ comme l’état de nirvikalpa-samadhi qui va et vient, ils ne parlent pas du même ‘turIya‘ que la Mandukya Upanishad.
Le Mandukya ‘turIya‘ est le soi immuable qui dissout complètement tout ce qui lui arrive – y compris l’apparente « inconscience » du sommeil profond et aussi l’apparente « conscience des objets » à l’état de veille. Tel quel est soigneusement mis dans la citation et la traduction de la strophe finale du Cangadeva Pasashti :
nideparaute nidaijaNe jAgR^iti giLonI jAgaNe est le véritable Être.
C’est le sommeil au-delà de ce sommeil ; qui avale (transcende) ce réveil aussi.
Ici, j’interpréterais ‘ce sommeil’ comme l’état d’apparence inconsciente que les sommeils profonds semblent être lorsqu’ils sont vus de l’extérieur. Et « C’est le sommeil » qui ferait référence à l’actuelle expérience du sommeil profond, où la vue extérieure s’est dissoute dans ce soi le plus profond dont l’éclat immuable se trouve là sans mélange. Ce même éclat immuable reste toujours présent dans les états de rêve et de veille, dissolvant complètement chaque apparition que nos esprits rêveurs ou nos sens éveillés lui apportent.
…….
4.19 Mais je ne me souviens pas d’un sommeil profond – c’est complètement inconnu.
R : Pourquoi est-ce un problème ? Ce n’est qu’un problème si l’on insiste sur connaître par la mémoire, ou en d’autres termes par le mental. C’est un problème caractéristique de la position idéaliste. Insister pour rester dans le domaine des idées, en se tenant dans le mental, tout en étant à la recherche d’une vérité au-delà. Le point important est de considérer le sommeil profond comme indiquant une expérience immédiate qui ne peut pas se souvenir du passé.
Cette expérience immédiate est sa propre identité – juste ce que l’on est vraiment, sous le mental apparent – dans le présent. C’est le plus certainement ‘inconnu’ de l’esprit, et ainsi le mental fait un « grand » contrat, et donne à cette expérience immédiate des noms grandioses comme ‘tout’ ou ‘brahmane‘. Mais cette « grandeur » est aussi une superposition mentale qui donne une fausse impression. D’où le correctif du sommeil profond, où de telles qualités comme « petit » et « grand » et sont complètement dissoutes.
Prakriya 5 – Tous les objets pointent vers la Conscience
5.01 Dans la prakriya du témoin, un sadhaka s’approche du ‘sat‘ ou de l’aspect « existence » du soi. Le corps, les sens et l’esprit sont considérés comme des apparences changeantes, illuminées par un témoin immuable qui est toujours présent, restant sans être affecté dans le centre le plus intérieur de l’existence. C’est le vrai soi, sous ses caprices et ses changements d’apparences de la personnalité. Se tenant dedans, comme témoin, tous les objets vus sont ramenés à la pure conscience. Là, ils sont tous ensemble complètement dissous, avec leur témoignage, dans la non-dualité.
Au lieu de ce retrait, il y a une autre prakriya qui continue, dans le conflit avec des objets apparents. Cette prakriya suivante étudie comment n’importe qui peut savoir ce que sont vraiment les objets. Elle procède par l’aspect « cit » ou « la conscience » de soi, pour déterminer ce qui est ‘sat‘ ou ‘existence’ dans le monde. La procédure est résumée dans le sixième point de Sri Atmananda pour sadhana :
« Tous les objets grossiers aussi bien que subtils me désignent et me prouvent (conscience). »
Premièrement, comme dans la prakriya du témoin, toutes les expériences grossières des objets extérieurs sont réduites aux plus subtiles expériences de notre esprit qui les conçoit. Nous pensons à des objets dans un monde qui sont à l’extérieur de la conscience, mais ce n’est que de l’imagination de notre esprit. En fait, réellement, personne ne peut jamais faire l’expérience d’un objet à l’extérieur de la conscience.
Dans l’expérience de chacun, la conscience est toujours là, ensemble avec chaque objet qui apparaît. Chaque objet est vécu comme une perception ou une pensée ou un sentiment, en présence de la conscience. Chaque objet montre cette présence connaissante, quel que soit ce qui peut être perçu.
Mais alors, qu’est-ce qu’un objet montre d’autre, quand il apparaît ?
Quand un l’objet est perçu, il montre la perception.
Quand on pense à cela, ce qu’il montre est la pensé.
Quand on l’a éprouvé, ce qui est montré est le sentiment.
Nos esprits s’imaginent que leurs perceptions, leurs pensées et les sentiments sortent en quelque sorte de la conscience, vers un monde extérieur. Mais cela n’arrive jamais.
Aucune perception, pensée ou sentiment ne peut réellement quitter la conscience et en sortir. Quand une telle apparition va hors de conscience, l’apparence disparaît immédiatement. Chaque perception, chaque pensée et chaque sentiment restent toujours dans la conscience jusqu’à ce qu’elle disparaisse. La Conscience ne montre jamais rien à l’extérieur, tel qu’elle est réellement expérimentée. Donc ce qui est montré, est toujours la conscience, et seulement ça. Rien autre n’est jamais montré, dans l’expérience de quiconque. La conscience n’a pas d’extérieur.
Bien que nous imaginions que des choses extérieures entrent en elle et donc la rendent différente de ce qu’elle était avant, en fait, ce n’est jamais vrai. La conscience n’est jamais influencée ou modifiée, d’une quelconque façon. Cela fait une différence réelle.
Quand quelque chose apparaît, il semble que quelque chose a été ajouté à la conscience, afin de faire la différence. Mais encore une fois, cette différence est une fausse imagination du mental. En réalité, la différence est irréelle. Ce qui apparaît n’est rien d’autre que la conscience ; et donc en vérité rien n’a été ajouté.
Lorsqu’une apparence disparaît, il semble que quelque chose a été enlevé à la conscience, et cela semble à nouveau faire une différence. Mais encore une fois, la différence est irréelle. L’apparence n’a en fait rien ajouté, quand elle a disparu, elle ne peut alors en vérité rien emporter.
En Bref, quel que soit l’objet qui apparaît, ce qu’il montre n’est que la conscience, comme sa seule réalité. Et cette réalité est toujours la même, toujours inchangée, comme le montrent tous les objets que quiconque perçoit ou pense ou ressent. Cette conscience est toujours présente, à travers l’expérience, comme la complète réalité de tous les objets physiques et mentaux qui apparaissent dans l’univers entier. Nos esprits et nos corps font un spectacle changeant, d’objets partiels qui semblent perçus ou pensés ou ressentis. Mais, tout au long ce spectacle inventé de choses partielles, la conscience connaît toute existence comme elle-même.
Dans cette existence complète, chaque objet est contenu.
La Chaise
5.02 Sri Atmananda avait une façon particulière de souligner comment cette existence est mal comprise. Habituellement, nous pensons à l’existence comme quelque chose qui appartient aux objets. Par exemple, après avoir vu une chaise et l’ayant touchée et s’étant assis dedans, une personne peut dire : ‘Cette chaise existe.’ Au début, il semble qu’il n’y a rien de faux dans une telle déclaration. Mais il a un problème. Cela met la chaise en premier, et donc cela parle de l’existence comme de quelque chose que la chaise possède. Cela dit effectivement : ‘La chaise a une existence.’
Quelle est donc cette existence qui appartient à la chaise ?
C’est quelque chose qui n’apparaît que dans certaines parties de l’espace et du temps. Ailleurs, en dehors de cet endroit particulier, l’existence de la chaise disparaît. Ainsi, il s’avère que l’existence de la chaise n’est rien de plus qu’une apparition partielle d’une autre existence qui est plus vraie et plus complète.
Quand on pense qu’une chaise a une existence, on ne parle pas avec toute la vérité.
Pour parler plus vrai, ce serait plus précis de dire : L’existence a la chaise.’
Pour que l’existence soit pleinement vraie, tous les objets qui apparaissent (physique ou mental) doivent lui appartenir. Ils doivent toutes être les apparitions de l’existence. C’est l’existence en soi, connue véritablement comme identique à la conscience, vers laquelle tous les objets pointent.
5.03 Comment ce prakriya se rapporte-t-il aux approches traditionnelles ?
Une illustration est donnée par Sri Atmananda, dans une de ses conversations enregistrées (le discours appelé ‘Sahaja‘, dans le livre ‘Sri Atmananda Tattwa Samhita’).
Ici, Sri Atmananda raconte un incident survenu vers la fin de sa période de sadhana, qui comprenait une formation yogique dans certains samadhis traditionnels. En particulier, il était venu à pratiquer un samadhi orienté jnyana, obtenu en pensant de manière répétitive, avec une intensité accrue :
« Je suis pure Conscience, je suis pure Conscience… »
Il dit que pendant qu’il intensifiait cette pensée, il utilisait aussi des arguments pour la prouver, par déduction logique. Par exemple, il pensait :
« Je ne suis pas ce corps, je ne suis pas les sens, je ne suis pas le mental, je suis pure Conscience… »
Il y avait donc une combinaison de la concentration yogique en un seul point et du raisonnement jnyana.
Un jour, alors qu’il se dirigeait ainsi vers le samadhi, une perturbation vint d’une charrette tirée par des chevaux, appelée ‘jatkas’, qui passait sur le bord de la route. Comme le bruit irritant est arrivé, ça lui fit penser : « Un bruit… il faut que j’aille ailleurs, au lieu de prendre la pensée. Ça trouble, ça dérange. » Mais alors, il lui vint soudain à l’esprit : « Eh bien, quelle absurdité ! N’est pas un moyen ? Sur quoi je médite, sur quoi je contemple ? Je suis pure Conscience !’ N’est-ce pas ? Et quand c’est ainsi, même le bruit qu’on y entend, n’est-ce pas pointer vers Moi ? « Je suis la Conscience », c’est la pensée que je prends, et les jatkas m’aident de cette façon, le bruit qui émane des jatkas m’aide, pointe vers la Conscience. Alors, Je veux m’y établir. »
5.04 Comme Sri Atmananda le souligne, une fois qu’on réalise que tout objet pointe vers la conscience, alors rien ne peut être une perturbation qui détourne de la vérité. Tous les obstacles apparents sont ainsi convertis en aides qui aident à réaliser ce qui est vrai. En conséquence, ce prakriya mène au ‘sahaja‘ ou à l’état ‘naturel’, d’établissement dans la vérité.
Les exercices religieux et yogiques ont longtemps été utilisés comme une préparation personnelle et cosmique, en purifiant les motivations personnelles et en élargissant les vues cosmiques, dans le but de se préparer à une éventuelle recherche sur la vérité impartiale. A la fin, cette recherche doit laisser derrière elle tout le développement personnel et tout le cosmos qui est vu à travers le corps et à travers l’esprit.
5.05 Comme Ramana Maharshi, Sri Atmananda a mis l’accent sur l’investigation elle-même. En particulier, il a enseigné des prakriyas qui n’ont pas besoin d’usage du culte religieux ou de la méditation yogique. Et il encourageait de nombreux disciples à se concentrer sur ces prakriyas, en excluant les exercices religieux et yogique. Il a dit à ces disciples que ce serait leur chemin le plus direct vers la vérité. Cela n’a pas été dit comme une concession aux Occidentaux. Cela a été dit pour tout le monde, Indiens, Occidentaux et autres, dans les circonstances modifiées du monde moderne.
Malheureusement, il existe une mauvaise compréhension, très courante, selon laquelle les religions, le culte et l’exercice méditatif sont essentiels, pour mettre la théorie de l’advaita en pratique. Cette idée fausse n’est pas indienne, en particulier, elle est encore plus répandue en occident, car les anciens chemins religieux et les méditations sont revenus à la mode, après une longue période de répression et d’oubli. Mais comme Ramana Maharshi et Sri Atmananda l’ont dit très clairement, la pratique directe de l’advaita n’est pas en développant le caractère par l’adoration ou par l’exercice méditatif. La pratique directe est un questionnement.
Alors qu’est-ce qui fait sortir la recherche de la théorie imaginaire pour postuler dans la pratique réelle ?
Cela ne se produit pas simplement quand on suit des pratiques religieuses ou des prescriptions yogiques. Au lieu de cela, la recherche devient réaliste lorsqu’elle se retourne sincèrement – quand il s’agit de ses propres croyances et de ses hypothèses qui sont véritablement en cause. C’est seulement en désarçonnant ses propres croyances partiales et préconçues que le questionnement peut arriver à une vérité plus claire. Ce renversement met la théorie en pratique. Et cela dépend de l’amour de la vérité, pour abandonner les mensonges chéris sur lesquels l’ego a pris une position auto-contradictoire et pleine d’illusion. Il n’y a rien de nouveau dans une telle recherche authentique. Elle a toujours existé, et elle est renouvelée à chaque génération. Et ça continue encore aujourd’hui, elle est rafraîchie dans la circonstance actuelle. Mais il faut la distinguer des préparations personnelles qui conduisent à elle, et qui doivent être laissées derrière. C’est seulement pour cette raison spéciale de cette distinction que Sri Atmananda a parlée de religion et des pratiques yogiques comme « traditionnelles ». Il ne disait pas que les traditions et la recherche sont fondamentalement opposées. Loin de là, il considérait le questionnement comme la base essentielle et indispensable à la tradition, alors que les pratiques religieuses et yogiques sont des préparations non essentielles aux facettes changeantes, avec simplement des conceptions théoriques.
En particulier, l’histoire qu’il a racontée qui était d’avoir été dérangé en se retirant dans le samadhi, et réalisant soudain que le but même du samadhi serait mieux servi en faisant face la perturbation. Il disait à ses disciples que oui, il avait pratiqué ce genre de retrait, mais il l’avait trouvé assez inutile. Au lieu d’utiliser l’énoncé « Je suis pur conscience » pour imposer un retrait dans un nirvikalpa ou un état sans pensée, il avait découvert qu’il pouvait faire mieux en comprenant ce que signifie l’énoncé. Sa signification est directement montrée par chaque objet qui apparaît, y compris tous les objets dont l’esprit se retire en samadhi.
5.06 En examinant l’expérience ordinaire, il est beaucoup plus pratique de voir que chaque objet pointe vers la conscience, de sorte qu’il n’y a pas besoin de s’en retirer.
Mais l’exercice maintenant n’est plus une préparation formel pour être jeté dans un état spécial. C’est plutôt une enquête interrogative qui fait face aux choses pour ce qu’elles sont et qui demande exactement ce qu’elles montrent, sous tous les faux-semblants qui ne sont pas examinées correctement. La dernière instruction de Ramana Maharshi était :
« Mettez l’Enseignement en Pratique ».
L’instruction est assez simple et peu seraient en désaccord avec ce qu’il dit. Mais puisque la pratique même est la recherche, elle génère une question pratique : que signifie exactement « pratique » ?
C’est plutôt interprété différemment, non seulement en théorie mais aussi beaucoup en pratique, par différents sadhakas.
5.07 Dennis :
Vous dites « Aucune perception, aucune pensée ou aucun sentiment ne peut réellement quitter la conscience et aller à l’extérieur. Quand une telle apparition va hors de la conscience, l’apparence disparait immédiatement. » Vous ne faites surement que dire ce que les mots signifient ?
Percevoir quelque chose signifie être conscient d’une perception ;
Penser quelque chose signifie être conscient d’une pensée ;
Sentir quelque chose signifie être conscient d’un sentiment.
C’est-à-dire, cela fait partie de la définition de ces mots qui sont associés à la conscience. Si une pensée ‘sort de conscience’ alors l’apparence disparait effectivement mais n’est pas simplement par définition, que ce n’est plus une pensée, si on n’est pas conscient ? Donc, tout ce que cela montre, c’est que (selon à la définition du dictionnaire) il n’y a pas de perceptions, de pensées ou de sentiments en dehors de la conscience. « Rien d’autre n’est jamais montré, dans l’expérience de quiconque » parce que personne ne voit rien sans en être conscient. Retour là où nous avons commencé.
Ananda :
La tentative est de seulement dire ce que signifient les mots, et de revenir à l’endroit où nous avons commencé. Le mouvement de l’argument est simplement cela. Bien que nous imaginions qu’un monde extérieur est perçu, pensé et ressenti, réellement cela n’arrive jamais.
Toutes les perceptions, les pensées et les sentiments restent toujours dans la conscience, et donc ils ne peuvent pas vraiment montrer quoi que ce soit à l’extérieur. Comme vous le dites du sens même des mots que nous employons, il est tout à fait clair que « Rien d’autre [que la conscience] n’est jamais montré… Ainsi, quoi que nos esprits puissent imaginer, nous sommes toujours de retour dans la conscience d’où nous avons commencé à imaginer. Cette imagination nous fait penser que nous sommes allés ailleurs et que nous avons vu autre chose, et que nous revenons et apportons des choses. Mais en fait, rien de tout cela n’arrive jamais. Nous sommes toujours de retour où nous avons commencé, et même le départ est une imagination fausse. Il n’y a jamais à aller nulle part, ni d’en revenir. Ce qui est étonnant, c’est que c’est tellement évident, par le sens des mots, comme vous le soulignez. Le sens même des mots que nous utilisons, contredit complètement les descriptions que nous faisons d’un monde physique et d’un monde mental. Et pourtant, quand cela est souligné, la première réaction est de le rejeter, car c’est trop évident et trop banal. Oui en effet, la contradiction est évidente ; et si on ne considère pas sérieusement ses conséquences et ses questions qui en découlent, alors cela reste banal. Ce n’est alors qu’une curiosité de langage, une anomalie théorique, sans véritable importance. Alors bien sûr il faut des expériences mystiques et religieuses, pour prendre cela au sérieux. Mais, selon la tradition de l’advaita, si cette contradiction est correctement prise en compte – en suivant ses questions jusqu’à leur fin définitive – alors que le questionnement seul suffit, pour trouver tout ce qu’il y a à trouver, pour réaliser la pure vérité au-delà de tout compromis. Mais Bien sûr, les faits parlent d’eux-mêmes.
5.08 Dennis :
J’ai aussi eu un problème avec la question de l’existence. Vous avez dit : « La chaise a l’existence. » Quelle est donc cette existence qui appartient à la chaise ?
C’est quelque chose qui n’apparaît que dans certaines parties de l’espace et du temps. Ailleurs, en dehors de cet endroit particulier, l’existence de la chaise disparaît. » Encore une fois, n’est-ce pas en fait ce que le mot signifie ? Une partie de la définition du verbe « exister » donnée par mon OED en ligne est celle-ci : « Être dans la réalité, se trouver quelque part, être repérable dans le temps ou dans l’espace à trouver, surtout dans un lieu ou une situation particulière ». Aussi, » l’existence » n’est-elle pas un attribut dans son utilisation normale ? Je pourrais dire que mon café est noir mais je ne dirais pas que la noirceur appartient au café. Je crains bien de ne pas avoir suivi du tout, les dernières parties. Pourquoi » Pour parler encore plus vrai, serait-il plus juste de dire : « Existence a la chaise. » ?
Que voulez-vous dire en parlant de « l’existence étant pleinement vraie » ?
Encore une fois, je suis satisfait de la conclusion (du moins en théorie ! – que rien ne peut être une perturbation parce que tout pointe vers la vérité – c’est juste que je ne vois pas très bien comment cela se découle de ce qui s’est passé avant.
Ananda :
Il s’agit seulement d’examiner ce que signifie le mot « exister ». Et ni les définitions du dictionnaire ni l’utilisation normale ne sont hors de question.
La définition du dictionnaire suggère qu’il y a deux significations – celle pour qui exister doit être trouvé en général, et l’autre doit être trouvé dans un lieu ou une situation particulière. Le dictionnaire favorise l’existence particulière, mais le questionnement de l’advaita ne doit pas être réglé par quelques mots dans un livre mais seulement par un examen strictement logique de l’expérience directe, sans nos compromis habituels d’accepter des vérités partielles qui ont mélangé des erreurs trompeuses et déroutantes. Le mot ‘existence’ décrit très certainement quelque chose qui se tient, et se tient de son propre droit. Cela implique une réalité générale et indépendante, vue à travers différentes apparences. Ce sont les apparences qui vont et viennent, comme ce qui existe est vu de points de vue différents. Ce qui existe demeure, indépendamment de comment ça s’est vu. Quand quelque chose appelé ‘existence’ s’avère apparaître et disparaître, alors cela contredit le sens du mot. Cela signifie que le mot « existence » est utilisé pour quelque chose qui n’existe pas vraiment.
Prenez la soi-disante « existence » d’une chaise particulière. Puisqu’elle apparaît à un endroit et à un moment, mais disparaît à d’autres, elle n’existe pas en vérité. Nous en parlons vaguement comme existant parce qu’elle est commune à certaines vues différentes que nous voyons lorsque nous regardons cette partie de l’espace et du temps à partir de différents endroits. Chaque vue est partielle. Cela montre quelque chose au sujet de la chaise, mais pas tout. La chaise à son tour est une vue partielle de quelque chose de plus grand qui la contient. Si nous pensons à toute la maison dans laquelle la chaise est contenue, alors la chaise est une apparence partielle que nous obtenons de toute l’existence de la maison. Ceci est une apparition partielle que nous voyons en regardant l’emplacement (espace-temps) de la chaise.
La même considération s’appliquerait à son tour à la maison. A la fin, le mot ‘existence’ ne peut être utilisé avec exactitude, à moins qu’il s’applique à « tout ce qui existe ». Il ne peut s’appliquer correctement qu’à une existence dans laquelle tous les objets apparents sont contenus.
Seulement cette existence complète peut être pleinement vraie, sans la souillure d’aucun compromis avec ce qui est faux. Lorsque cette existence complète est identifiée comme la conscience, alors chaque objet pointe vers elle. Chaque objet montre la connaissance présence de la pure conscience, et aide ainsi un sadhaka à voir ce qui est vraiment là. C’est seulement dans le monde apparent qu’un objet peut distraire l’attention d’un autre. Et alors seulement l’objet distrayant devient une perturbation qui empêche de percevoir autres choses. Mais lorsque la vérité impartiale est recherchée, il ne peut y avoir de véritables perturbations. Tout ce qui semble déranger ne fait qu’annoncer sa réalité, qui est pure conscience. Plus la perturbation semble grande, plus elle annonce fortement cette vérité impartiale. Quand cela est compris, tous les obstacles apparents sont réalisés comme un moyen utile pour découvrir ce qui est vrai et de s’y établir. C’est, certes, un curieux paradoxe, vu des confusions de ce monde.
………
Le Témoin
5.09 Sri Atmananda a fait une distinction sensible entre le témoin et le vrai soi appelé ‘kutastha’ ou ‘atma‘. Le témoin n’est pas la conscience elle-même ou atma lui-même. Au lieu de cela, le témoin est un dernier relais sur le chemin de la réalisation de soi.
La vérité de soi est trouvée en clarifiant la confusion de l’ego, qui confond faussement le soi connaissant avec des actes connus de la personnalité.
Pour dissiper la confusion, le soi qui connaît doit être discerné complètement de tout ce qui est connu comme un objet différencié ou un acte changeant.
Par un discernement clair et impartial, il doit y avoir un achèvement complet de cette dualité entre le sujet connaissant et ses objets ou ses actes connus, de sorte qu’aucune trace ne reste de tout mélange entre les deux.
Lorsque la dualité devient complète, la position du témoin est atteinte.
Dans l’idée du témoin, vu de l’ego dans le monde, il demeure une dernière trace d’une dualité confuse.
Il reste encore un témoignage des activités changeantes qui apparaissent dans le mental. Et malgré tous les arguments intellectuels qui prouvent le contraire, le témoignage ressemble encore un peu à l’une de ces activités changeantes, car elle éclaire les apparences et enregistre ce qu’il a éclairé.
Cependant, lorsque le concept du témoin a été entièrement suivi, vers où il pointe, ce n’est plus une idée, mais une réelle position.
Puis, immédiatement, dès que la position est effectivement atteinte, l’idée du témoin se dissout, sans garder aucune trace de dualité.
En conséquence, le témoin est un achèvement de la dualité qui s’abandonne immédiatement, à la non-dualité.
Lorsqu’il est bien compris, le concept du « témoin » se dissout ainsi, de lui-même, dans cette vérité non-duelle du « soi » qui est appelé aussi par d’autres noms comme « conscience » et « kutastha ».
5.09 Littéralement, ‘kutastha‘ signifie bien sûr se tenir tout en haut de la pointe la plus haute (kuta) signifiant « sommet le plus élevé » et « stha » signifiant « debout ». Je ferais donc l’interprétation suivante de la Gita, (15.16) et des quelques strophes suivantes :
Ici, dans ce monde, il y a deux principes de vie : l’un changeant, tandis que l’autre reste inchangé.
Tous les êtres qui sont venus à être, sont changeants.
L’immuable est appelé ‘kuta-stha‘ · – Trouvé ‘debout au plus haut sommet’. (15.16)
Comme je transcende tout changement et même ce qui ne change pas, on m’appelle souvent le « principe le plus élevé », à la fois dans les Védas et dans le monde. (15.18)
Celui qui me connaît sans confusion, juste comme ce principe le plus élevé, se joint entièrement à moi, avec le cœur et l’esprit complètement fusionnés. (15.19).
Dans la première strophe (15.16), le nom ‘kuta–stha‘ est associé avec le témoin immuable, indiquant ainsi qu’il est le plus élevé point de vue de l’expérience dans le monde.
La strophe suivante (15.18) suggère un « je » qui est encore plus élevé, entièrement au-delà du monde.
Et la dernière strophe (15.19) raconte une complète dissolution dans cette vérité finale du soi, simplement en la sachant sans confusion.
5.10 Selon Sri Atmananda, cette connaissance sans confusion est atteinte immédiatement quand la position du témoin est effectivement atteinte.
Là, la dissolution dans le soi réel est immédiate et spontanée, ne nécessitant aucune réflexion ou effort supplémentaire. Autrement dit, en atteignant la hauteur la plus élevée du point de vue du témoin, il dissout immédiatement sa séparation apparente sous la forme d’un pic distinct ou point, car il se fond dans la non-dualité.
Donc oui, il semble y avoir une légère différence de terminologie entre la Bhagavad Gita et les advaitins comme Sri Atmananda, dans l’utilisation du terme « kuta-stha ».
Mais la différence est très légère, concernant la délicate distinction entre le témoin et le soi.
Les advaitins comme Sri Atmananda ont tendance à utiliser ‘kuta-stha‘ car il se produit dans l’Ashtavakra Samhita,
1.13 : kUTastham bodham advaitam AtmAnam paribhAvaya AbhAso ‘Ham bhramam muktvA bhAvam bAhyam ath’ Antaram
Libérez-vous de l’illusion : Je suis cette personne apparente qui est en quelque sorte venue à être – perçu à l’extérieur ou ressenti à l’intérieur.
5.11 Ainsi, reconnaissez-vous comme cette véritable individualité qui se tient au-dessus apparaissant avant tout comme la conscience inconditionnée, non assombrie par la dualité. Ici, clairement, ‘kuta-stha‘ n’est pas seulement le témoin, mais la conscience elle-même ou le soi non-duel, qui est la seule véritable individualité.
………
Prakriya 6 – Le Bonheur
6.01 Après les prakriyas précédentes, qui concernent les aspects de l’existence et de la conscience, il s’ensuit un examen d’‘ananda‘ ou du ‘bonheur’. Il est résumé dans le septième des points de Sri Atmananda pour sAdhana.
Le bonheur que je suppose tirer des objets n’est pas intrinsèque aux objets ou à l’esprit. Cela vient du vrai « Je » ‘I-Principe’.
Cette prakriya commence par la commune expérience de désirer d’un objet.
Pourquoi l’objet est-il désiré ?
De toute évidence, le mental qui désire ressent un besoin ou un manque. L’objet est désiré pour remplir ce manque. Lorsqu’un objet désiré est atteint avec succès, le mental se sent comblé, dans un état de bonheur.
Mais qu’est-ce exactement ce Bonheur ?
Comme comble-t-il le désire du mental, d’où vient-il ?
Habituellement, quand nos pensées désirent des objets, nous pensons au bonheur comme quelque chose qui se trouve en eux. Mais bien sûr ce n’est pas vrai. Un l’objet peut ou non nous apporter le bonheur, selon le moment et les circonstances.
6.02 Sri Atmananda le dit comme ceci (dans ‘Atmananda Tattwa Samhita ‘, chapitre 1, ‘ Où nous nous tenons ‘, avant-dernier paragraphe) :
« Si le bonheur était intrinsèque à l’objet des sens, il doit toujours vous donner du bonheur, de la petite enfance jusqu’à la mort. Mais ce n’est pas votre expérience. Ce qui vous a donné le bonheur… quand vous étiez un bébé… ne vous le donne pas quand vous devenez un enfant… L’objet qui vous a donné le bonheur dans la petite enfance et l’enfance… cesse de vous le donner quand vous devenez plus vieux. Quelque chose d’autre prend sa place. Ainsi vous trouvez que le bonheur n’est pas intrinsèque aux objets des sens. » Mais alors, si le bonheur n’est pas dans les objets, où en vérité, peut-il être trouvé ? Cela peut-il être dans le mental ?
Non, ce n’est pas possible. Car si c’était le cas, l’esprit en profiterait toujours. Dans ce cas, nous ne verrions jamais nos pensées insatisfaites. Nous ne les verrions jamais vouloir un objet du désir. Et nous ne verrions jamais un état passager de bonheur, résultant d’un objet qui a été atteint. Nous n’aurions jamais vu cet état de bonheur céder la place à un autre état de désir – alors que l’esprit redevient agité, avec le désir d’un autre objet. Dans un état de bonheur, l’esprit est amené au repos. Quand l’objet souhaité est atteint, l’esprit en vient alors à ne faire qu’un avec son objet désiré. L’esprit et l’objet ne sont plus considérés comme deux, mais sont résolus comme étant un seul. Chacun s’est affaissé et s’est dissous dans la conscience sans mélange, où il n’y a pas de dualité. Là, le soi est un avec ce qu’il connaît.
Dans un état de bonheur, cette unité brille, montrant la vraie nature du soi de chacun. De ce soi vient le bonheur. L’être même de ce soi est son éclat non duel, que nous appelons ‘Bonheur’.
Ainsi, le bonheur n’est pas un état passager. C’est l’immuable rayonnement du soi véritable. Dans les états d’insatisfaction et de misère, son éclat non duel semble distrait par la dualité d’un esprit en manque, en contradiction avec ce qu’il trouve. Dans les états de bonheur, l’esprit désirant et sa dualité se dissolvent, se montrant ainsi comme il est toujours.
C’est une prakriya très simple, qui montre positivement la non-dualité du soi.
En voyant que le bonheur vient toujours du vrai soi, comme étant son éclat non duel, ce prakriya peut aller droit au cœur de toute valeur et de toute motivation. Mais dans sa simplicité, la prakriya exige une clarté particulière, pour laquelle les prakriyas précédentes peuvent aider à préparer. En cherchant des indices de cette prakriya dans les textes traditionnels, les plus proches auxquels je puisse penser sont deux passages des Upanishads. Les traductions libres de ces passages sont jointes en post-scriptum. Mais les indications ici ne sont pas très proches. Si quelqu’un peut penser à d’autres passages qui donnent une indication plus précise, je serai reconnaissant.
6.03 Mundaka Upanishad, 3.1.1-2
Deux oiseaux, en étroite compagnie, sont perchés sur un seul arbre.
L’un d’eux mange et goûte le fruit.
L’autre ne mange pas, mais juste regarde.
Sur ce même arbre, une personne est déprimée
et elle souffre de chagrin :
trompée par un sentiment de soi-disant impuissance,
et se sentant ainsi assez dépossédé.
Mais quand on découvre ce qui est vraiment aimé –
comme ce qui se tient au-delà de tout,
comme sa propre infinité sans borne,
d’où vient l’aide, alors que tout t’appartient –.
Là, on est libéré de la misère.
Taittiriya Upanishad, de 2.8 (vers la fin) & 2.9
… C’est ce que c’est, dans une personne ;
et ce que c’est, dans le soleil.
C’est l’un.
Celui qui sait celà, abandonne ainsi ce monde apparent derrière lui,
il se retire dans ce « soi » qui est fait de nourriture,
il se retire dans ce « soi » qui est formé d’énergie vivante,
ilse retire dans ce « soi » qui se compose juste de l’esprit,
il se retire dans ce « soi » qui seulement perçoit la conscience,
et il se retire dans ce « soi » qui n’est rien d’autre que le bonheur.
6.04 Le bonheur auquel il est fait référence, est-ce le bonheur, ou un état ?
bien que nous ne puissions pas l’appeler un état, où il n’y a ni bonheur ni malheur.
R : Dans l’advaita, les mots « conscience » et « bonheur » sont utilisés comme le mot ‘température’ en physique. Comme les physiciens conçoivent le chaud et le froid, tous les différents états d’être chaud ou froid sont des phénomènes variables qui présentent les mêmes principes communs appelés « température ». Il existe de nombreux états de température – indiqué par divers degrés sur le thermomètre, à partir de l’absence totale de chaleur du zéro absolu jusqu’à n’importe quel degré élevé de température. Peu importe qu’un état soit chaud ou froid, l’état est quelque chose de variable et de passager. Tous ces états sont des différentes apparitions du même principe appelé ‘température’.
De même dans l’advaita, la « conscience » est le principe commun de tous états de connaissance, quel que soit le degré apparent de connaissance.
Ainsi, le sommeil profond est traité comme un état de conscience auquel le degré zéro a été donné, ce qui signifie qu’il n’y a là aucune activité de connaissance. Et divers états de conception et de perception reçoivent des degrés relatifs de connaissance, ce qui signifie que leur savoir est incomplet à cause de quelque ignorance restante.
De même, dans l’advaita, le « bonheur » est le principe commun de valeur stimulante dans tous les états de recherche et de réalisation.
Ainsi, le sommeil profond est traité comme un état de bonheur dont le degré zéro a été donné, ce qui signifie qu’il n’y a pas de recherche ou de réalisation là-bas. Et les divers états de recherche et de réussite reçoivent des degrés relatifs de bonheur, c’est-à-dire que leur recherche et leur réalisation sont incomplètes à cause d’une certaine insatisfaction restante. Pour l’instant, ce n’est que de la terminologie.
Mais l’advaita passe par un questionnement radical sur ce qu’est vraiment la connaissance et ce qu’on cherche vraiment à atteindre. Dans le cas de la connaissance, ce qui est remis en question, c’est notre habituelle supposition que la connaissance soit une activité de perception et de conception, portée par l’esprit et les sens. Aucune activité de perception ou de conception ne sait rien par elle-même. Elle ne crée que des apparences, éclairées par le principe commun appelé « conscience ». C’est la seule vraie connaissance, et elle n’a pas de degrés. À tout moment et partout, elle est à cent pour cent présente, dans toute sa plénitude. Cela inclut le sommeil profond, où la conscience se retrouve resplendissante d’elle-même, dans toute sa pureté.
Dans le cas de la recherche et de l’accomplissement, ce qui est en question est une autre hypothèse habituelle que ce que nous cherchons, elle passe par des états d’atteinte d’objectifs partiels et temporaires. Aucune des objectifs ne peut eux-mêmes apporter le bonheur. Ce qui brille dans leur réalisation est une conscience indivise, où ce qui connaît ne se sent plus en contradiction avec ce qui est connu. Cet éclat indivis n’est que la conscience elle-même. C’est le seul vrai bonheur, présent dans tous les états passagers, motivant tous leur recherche et leur réalisation. C’est la valeur finale qui est toujours recherchée, la seule valeur véritablement trouvée.
Dans la paix profonde du sommeil profond, le bonheur est montré à découvert, brillant sans être affecté comme il est toujours – dans une simple vérité, au-dessous de tout changement d’états apparents. Il y a une autre façon de voir cela, à travers la dérivation du Mot anglais « happiness » bonheur. Être heureux, c’est se sentir en harmonie avec ‘hap’, avec les « happenings » les événements qui ont lieu dans son expérience. La recherche du bonheur est une recherche de cette unité, qu’advaita dit être la vérité non duelle de toute expérience. C’est pour ça que tous les actes sont accomplis, pour lesquels tous les événements ont lieu, dans l’expérience de chacun et dans le monde entier.
6.05 Dans la Taittiriya Upanishad 2.7, c’est écrit comme ceci :
yad vai tat sukritam raso vai sah, rasam hy ev’ Ayam labdhv Anandi bhavati, ko hy ev’ AnyAt kah prANyAt, yad esha AkAsha Anando na syAt
C’est juste cette saveur essentielle qui est spontanée et naturelle.
C’est seulement quand on atteint cette saveur essentielle que l’on arrive au bonheur. Pour ce qui pourrait être vivant, et ce qui pourrait bouger avec énergie, s’il n’y avait pas ce bonheur ici en arrière-plan de tout l’espace et du temps imprégnant le monde entier.
Le problème, bien sûr, est de comprendre ce que cela signifie exactement – de comprendre que le bonheur est un arrière-plan immuable qui sous-tend tous nos sentiments changeants, y compris nos sentiments les plus négatifs et nos sentiments douloureux de misère, de peur et de désir.
Prakriya 6 – Amour et Dévotion
6.07 Dans l’approche de Sri Atmananda, la dévotion (bhakti) ou l’amour (prema) est de la plus haute importance. La raison supérieure (vidya-vritti) est seulement une expression d’amour pour la vérité. C’est seulement l’amour qui peut emmener un sAdhaka des idées sèches à la vérité vivante.
(voir la note 1952 #98 dessous).
Comme le mot ‘philosophie’ l’implique (de ‘philo-‘ signifiant amour et ‘-sophy’ signifiant ‘véritable connaissance’),
toute véritable recherche est une histoire d’amour avec la vérité.
Et la raison – en particulier la raison la plus haute – n’est qu’un moyen par laquelle l’amour agit, pour s’exprimer elle-même dans la raison. Mais, la raison n’étant qu’un moyen d’expression, elle est soumise à l’amour et non l’inverse. Le fonctionnement de l’amour n’est pas le sujet de la raison et ne peut être correctement dirigé ou décrit par la raison. Le seul bon usage de la raison est de remettre en question les fausses croyances, à la recherche d’une vérité aimée par-dessus tout. C’est seulement à travers un amour si dévorant que la dernière trace restante d’erreur peut être abandonnée, sur le chemin de la vérité. La façon dont l’amour fonctionne, à travers cette investigation d’abandon, n’est pas un sujet de la raison qui s’applique correctement.
Quand l’amour de la vérité d’un sAdhaka est suffisamment authentique, l’amour de la vérité se manifeste dans la forme d’un enseignant et de sAdhanas ou de recherches qui sont ainsi enseignés. Il y a bien sûr un côté profondément émotionnel à cela, mais c’est un côté qui doit être traité à part entière – en tant qu’une question très délicate entre maître et disciple, exprimée dans d’une manière qui est tout à fait spécifique à leurs conditions particulières et aux circonstances.
6.08 Sri Atmananda lui-même était un Krishna-bhakta, et son professeur lui a demandé d’entreprendre la bhakti sAdhana traditionnelle de rAdha- hRRidaya-bhAvana (contemplation sur le cœur de Radha, qui prit Krishna comme amant).
Découlant directement de cette sAdhana, Sri Atmananda a composé une œuvre poétique, appelée ‘Radha- Madhavam‘. Son thème est résumé dans la strophe 5, qui dit :
rAdha-mAdhava-lIla bodharahitanmarokkeyum prAkrita prAdhAnyam kalarunna kAmakalayAy kANunna sAdhAraNam. dvaitamvitTatha citprasAdhavibhavanmArAy mahAbhaktarAm sAdhukkaLkkatu cittamAtmaniramiccaikyam labhikkyunnatAm.
Interprétée très librement, cette strophe dit quelque chose dans ce sens :
« Un esprit commun et non éclairé pense généralement que l’amour humain consiste en un désir personnel d’objets différents du soi.
Mais l’amour de Radha pour Krishna cherchait à dépasser la dualité :
pour atteindre cette vérité qu’est Krishna,
où lui et elle et ‘vous’ et « je » sont un dans la pure unité du soi. »
L’œuvre est écrite en malayalam d’une façon très lyrique et passionnée ; et Sri Atmananda a été une fois persuadé d’essayer de la traduire en Anglais. Il s’est assis pour le faire, mais au bout d’un moment, il a abandonné, disant que l’ambiance ne viendrait tout simplement pas. Un disciple anglais (John Levy) a fait une sorte de traduction ; mais cela tombe de travers d’une façon étrange, manquant ainsi malheureusement la puissance brûlante et l’esprit de l’original. Contrairement au discours de raison d’Atma Darshan‘ et d’Atma Nirvriti, dont Sri Atmananda a fait une traduction très efficace en anglais, la bhakti passionnée de « Radha-madhavam » n’était donc pas traduisible. C’était trop spécifique à un environnement particulier et traditionnel dans laquelle elle a été composée.
6.09 Dans ses entretiens sur la logique, Sri Atmananda parlait parfois de la dévotion et de l’amour, mais il ne l’a pas développé autant lorsqu’il a parlé des aspects de la conscience ou de l’existence de la vérité. Et il a souligné qu’en fin de compte, le cœur ou l’aspect dévotionnel doit être laissé à lui-même, comme au-delà du contrôle de tête ou de l’aspect intellectuel. Même ainsi, dans les « Notes sur les discours spirituels de Sri Atmananda » de Nitya Tripta ‘, il existe quelques brèves discussions sur la dévotion et l’amour, généralement en relation avec la connaissance. Quelques-unes d’entre elles sont mises ci-dessous.
6.10 1er octobre 1951 228.
Quelle est la nature de l’amour dans son application ?
Si vous aimez seulement quelqu’un pour ses qualités grossières et extérieures, cet amour est du type le plus bas. Mais si vous aimez l’autre sachant que c’est seulement le principe de vie dans l’autre que vous aimez, alors cet amour devient sublime. Et enfin, si vous aimez l’autre en sachant que vous aimez ce qui transcende les attributs du corps, des sens et de l’esprit, là l’altérité s’évanouit d’un coup. Cet amour est le plus sublime, et est l’Absolu lui-même.
L’homme ordinaire croit que l’objet qu’il désire est réel, et qu’il est la source du plaisir dont il jouit. Mais le Sage voit les objets comme de simples pointeur vers le Soi.
6.11 5 juin 1952 57. Aimer et comment aimer ?
Tout amour temporel n’est qu’un marchandage et a toujours son contraire attaché à lui, prêt à s’exprimer lorsque la prise en compte prévue est entravée de quelque manière que ce soit. Mais seul l’amour d’un Vedantin ne connaît pas de marché, et naturellement ne connaît pas d’opposé. Il est parfait et inconditionnel ; et il est toujours dans la forme de donner et non de recevoir. Donc, même pour aimer sa propre femme ou son enfant de la meilleure manière, il faut d’abord devenir un Vedantin.
Toute discussion d’amour dans ce monde n’est rien d’autre qu’une fraude pure et simple. Alors, connaissez-vous d’abord. Alors seulement vous pourrez aimer quelqu’un ou quoi que ce soit vraiment et sans réserve.
6.12 8 juillet 1952 98. Cœur et Prema
Cœur + je suis = je suis le cœur.
L’amour est l’expression du Soi à travers le cœur, et le cœur est toujours humide. Il vous amène directement au Soi ou à l’Atma et vous noie dedans.
Le language est sec et est l’expression de Soi par la tête ou la raison.
Le language ne vous emmène qu’au bord d’Atma ; et vous laisse là, jusqu’à ce que le cœur s’élève jusqu’à mouiller la raison et finalement vous noyer dans l’amour. Alors quand on commence à parler d’amour, il est impossible d’avancer dans la discussion quand le cœur s’emballe.
Des différents styles littéraires, « shringara » (basé sur l’amour humain) est le style qui correspond le mieux pour revêtir la plus haute Vérité à travers le message d’amour ou prema. C’est pourquoi même les Upanishads ont invariablement utilisé ce style pour exprimer la Vérité.
6.13 26 décembre 1952 480. Qu’aimez-vous ?
Vous ne pouvez aimer que le véritable Absolu, représenté par le principe de vie chez les autres. Vous ne pouvez rien aimer d’autre.
10 avril 1953 83. Qu’est-ce que j’aime ? Et pourquoi ?
Votre amour est dirigé uniquement vers le vrai substrat ou le Soi.
Vous arrivez à aimer les qualités de quelqu’un, simplement parce qu’elles appartiennent au substrat que vous aimez.
Vous aimez, parce que l’amour est la vraie nature du Soi réel et vous ne pouvez pas vous empêcher d’aimer, même pour un moment.
10 avril 1953 84. Comment aimer ?
L’amour est l’émotion ou le sentiment d’unité avec l’autre. Si vous vous comprenez correctement comme étant au-delà du corps, des sens et l’esprit,
votre amour pour un autre sera aussi pour ce Soi en lui. Parce qu’il n’y a pas deux Soi et que l’amour est sa nature.
Si votre compréhension est incorrecte, vous aimez le Soi incorrect en lui ; et à la suite de cette inexactitude, vous détestez les autres.
L’amour véritable absorbe tout en vous, puis la dualité meurt.
Mais dans l’amour conditionné, ou la reconnaissance, la dualité persiste à donner et à prendre.
Même cette gratitude, si elle est dirigée vers le gourou, va profondément en vous, elle vous emmène au-delà de la dualité et se transforme en amour sans objet.
6.14 18 avril 1953 97. Qu’est-ce qui différencie l’amour de la connaissance ?
Connaître avec tout votre être est l’Amour lui-même.
Dans la pensée (qui est de connaître avec seulement le mental)
vous ne vous perdez pas.
Mais en amour, vous vous perdez.
Ainsi l’amour implique le sacrifice de l’ego.
21 avril 1953 109. Quelles sont les activités de l’amour et de la connaissance ?
L’amour crée un objet pour son plaisir immédiat,
la connaissance détruit cet objet, laissant l’amour sans objet.
Étant sans objet, il ne fait qu’un avec l’amour absolu.
L’amour ne s’enrichit pas en prenant mais en donnant.
6.15 2 juillet 1953 125. Où est la relation sujet-objet dans l’amour ?
Quand vous dites que vous vous aimez, vous-même et l’amour se présentent comme un. De même, lorsque vous aimez l’autre, vous devenez un avec l’autre. La relation sujet-objet disparaît et l’expérience est une en identité.
Pour » aimer votre prochain comme vous-même » vous devez vous tenir comme l’Atma lui-même. La disparition de la relation sujet-objet est un corollaire naturel de l’expérience amoureuse. Donc aussi de l’expérience de la connaissance. Cela se produit en fait dans toutes les expériences sur le plan relatif.
Au lieu de prendre acte de la sublime Vérité, après coup l’ego essaie de la limiter, de la déformer et de la posséder. Chaque fois que n’importe quel doute surgit, référez-vous à l’expérience du sommeil profond, où Il n’y a pas relation sujet-objet.
Dans l’expérience du Bonheur, l’esprit meurt. Il n’y a ni jouisseur ni appréciation en elle. Il n’y a que le Bonheur. C’est un état sans ego ;
mais celui-ci est usurpé par la suite par l’ego. Vous n’obtenez pas le bonheur en aimant tout, mais aimer tout est lui-même le Bonheur.
Le travailleur humanitaire met l’accent sur le « tout » et manque le Bonheur ;
le vedantin met l’accent sur le Bonheur, sa propre nature, et rate ou perd le « tout ».
6.16 1er juin 1957 52. Dévotion
De même, la bhakti ou la dévotion est une attitude mentale dirigée vers un objet, généralement un iShTa-deva [une forme choisie de Dieu]. Ceci par elle-même ne donne pas le résultat ultime, moksha.
Moksha [la libération] est impersonnelle.
Pour atteindre moksha, le but de bhakti doit être graduellement changé en impersonnel, en comprenant la nature de Dieu. Mais la vérité au sujet de Dieu est qu’il est le concept le plus élevé de l’esprit humain. Par conséquent, un l’examen subjectif de l’esprit doit être effectué et son arrière-plan, le Soi, visualisé. Cela ne peut jamais être fait par l’esprit seul, sans aide. Par conséquent, la vérité de sa propre nature réelle doit être entendue par les lèvres d’un Sage (guru).
Par cela, sa svarUpa [sa véritable nature] est immédiatement visualisée.
C’est alors que cette incessante dévotion doit être dirigée vers ce but.
C’est la vraie bhakti, et elle permet de s’établir dans l’Atma. C’est mukti (la libération).
6.17 23 septembre 1958 72. Comment la souffrance est-elle liée à l’amour ?
La souffrance est l’amour même. Mais comment ?
Examinons la souffrance. Prenez n’importe quelle expérience de souffrance.
Vous dites que la pensée de votre père décédé, crée la souffrance.
Mais est-ce que cela fait toujours cela ?
Si votre père, de son vivant, était cruel et hostile envers vous, la pensée de sa disparition ne vous rendrait guère malheureux. Il est donc clair que ce n’était pas la pensée du père qui était la cause votre souffrance, mais c’était la pensée de l’amour de votre père qui était la vraie cause. Mais l’amour est sans attribut et indivisible.
C’est même une erreur de l’appeler l’amour paternel, et il a été prouvé que la pensée du père n’était pas la cause de la souffrance. C’était donc l’amour et l’amour seul qui était la cause de la souffrance, si jamais cela pouvait avoir une cause. Mais vous ne ressentez qu’une chose à la fois – l’amour ou la souffrance – et donc il ne peut y avoir de relation causale entre les deux [étant des choses différentes]. C’est donc l’amour qui s’exprime comme souffrance, et non votre père [qui en est la cause, comme quelque chose de différent de l’amour].
Le père est oublié dans l’amour. Pour trouver la source de la souffrance, vous devez aller au-delà du corps et de l’esprit. Si vous mettez l’accent sur le corps et l’esprit, vous êtes limité dans l’expression de la Vérité. La substance est au-delà. La souffrance et le bonheur sont les deux expressions.
L’amour pur est l’arrière-plan des deux.
Quand on s’accroche à l’amour, les objets disparaissent. Mais quand on s’accroche à des objets, l’amour n’est pas perçu comme tel. Là où il n’y a pas d’amour, il n’y a pas de souffrance. Alors l’amour va dans la création de la douleur ; la souffrance est l’amour même. C’est le concept illusoire du temps qui fait apparaître l’amour comme la douleur. Si vous séparez l’amour de la douleur, il n’y a pas de douleur.
6.18 12 octobre 1958 78. Qu’est-ce que la bhakti ? (adoration, amour de Dieu)
Vous ne pouvez pas avoir de bhakti pour quelque chose qui n’existe pas,
vous ne pouvez non plus l’avoir envers tout ce que vous ne connaissez pas.
Chaque objet de la bhakti a deux aspects :
1. La forme impermanente ou inexistante, et
2. La conscience permanente ou réelle.
La bhakti devrait être dirigée vers ce dernier aspect, et le premier peut être parfaitement ignoré lorsqu’il a rempli son objectif légitime. Le but de la « forme » est uniquement d’attirer votre attention et de vous permettre de la diriger vers la Conscience, qui est son arrière-plan. La Conscience ne peut jamais être objectivée. Elle est toujours le sujet ultime (viShaya). Elle est dans le dévot lui-même et indivisible. Par conséquent, un vrai dévot peut et n’a besoin que de diriger son attention vers la Conscience en lui. C’est la vraie bhakti ; et cela donne immédiatement la Paix ou Ananda, qui est la Conscience elle-même. C’est le vastu-tantra, le résultat de la Vérité. Sri Shankara définit la vraie bhakti comme étant la plus élevée comme suit :
moksha-sAdhana-sAmagryAm bhaktir eva garIyasI sva-svarIpA- ‘nusandhAnam bhaktir ity abhidhIyate [Viveka-cudamani, 31]
S’accrocher sans cesse à sa vraie nature est en vérité appelé bhakti.
Bhakti pour autre chose que cela est vraiment indigne de ce Nom. On peut tout au plus parler d’une fascination aussi irréelle que l’objet lui-même.
6.19 Que voulez-vous dire par « raison » : l’esprit doit-il être apaisé par la pratique pour laisser briller Brahman ?
A : Non, » l’esprit qui a besoin d’être apaisé » est ce que Sri Atmananda a appelé « la raison inférieure ». Il a défini une telle pensée ou la raison inférieure comme « la conscience allant vers les objets ». Et il a donné le nom de « raison supérieure » ou « vidya-vritti » à ce que Ramana Maharshi a appelé « la quête du soi » ou « atma-vicara ». Cette raison supérieure est la conscience qui se reflète dans le soi d’où l’esprit surgit (et semble sortir). Cela seul est la vraie raison. Et ce n’est pas du tout mental.
Au lieu de cela, c’est la conscience elle-même ou l’amour lui-même, exprimé sous la forme de questions d’investigation, pour ramener un sAdhaka à sa propre vérité.
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6.20 Que voulez-vous dire en parlant de questions qui peuvent ‘ramener un sAdhaka à sa vérité ou à sa propre vérité’ ? En particulier, cela implique-t-il qu’il existe différentes vérités, à être trouvé par différents sAdhakas ?
A : Cela ressemble à ça, parce que différents sAdhakas se voient différemment – en tant que personnalités différentes, avec des corps et des esprits différents. Mais, finalement, ce n’est que lorsqu’on parle de personnalité qu’ils semblent différents.
Quand un sAdhaka vient enfin à la vérité de soi, elle se trouve être la même chose, en réalité. Toute différence là-bas n’est qu’apparence, toujours montrant un même soi.
C’est ce que l’amour montre, en tant que sAdhaka il a abandonné ce qui semble être « mon » pour ce qui est le vrai « je ».
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6.21 Quand on parle de vérité, n’est-ce pas la triaturiiya et les états turiyatiita ?
Selon Sri Ramana Maharshi, la vérité finale est le Soi, qui se réalise dans les états mentionnés ci-dessus.
R : Encore une fois, il y a un problème de terminologie, avec des mots différents produisant des différences apparentes qui doivent être transcendées sur le chemin de la vérité. Mais le problème ici est un peu technique, j’en ai peur. En sanskrit, le mot ‘turiiya‘ signifie simplement le ‘quatrième’. Dans le Mandukya Upanishad, la vérité est appelée ‘catush-pat‘ ou ‘tombé en quatre’. Les quatre sont :
1. Agarita-sthAna’ ou l’état de veille
2. ‘svapna-sthAna’ ou l’état de rêve
3. ‘suShupta-sthAna’ ou l’état de sommeil profond
4. ‘chaturtha’ ou le ‘quatrième’.
Dans cette quadruple division, le mot ‘sthAna‘ ou ‘état’ est appliqué seulement aux trois premières divisions, qui sont les états de veille, de rêve et de sommeil. La dernière division est l’endroit où toutes les divisions sont dissoutes. Il est simplement appelé le « quatrième », et le mot « sthAna » ou ‘état’ est significativement omis.
Voici la strophe finale de la Mandukya Upanishad :
amAtrash caturtho ‘vyavahAryah prapanc’-opashamah shivo ‘dvaita evam om-kAra Atm’ aiva samvishaty Atman’ AtmAnam ya evam veda ya evam veda
6.22
Le quatrième n’est pas un élément ; il n’a pas non plus d’éléments.
Ça ne peut pas être négocié ou inventés. En lui, tout le monde créé par les objets inventés sont amenés au repos. C’est le bonheur inconditionné de la non-dualité. « Om » est donc le soi seul. Celui qui sait qui revient, à travers le soi, dans la vérité du soi.
Dans cette interprétation, le ‘quatrième’ n’est pas un état qui va et vient.
Au lieu de cela, c’est une réalité non duelle au-delà de tout changement et de tout mouvement. C’est la réalité immuable décrite par le mantra « Om ».
C’est le « quatrième » simplement dans le sens qu’il est au-delà des trois états d’éveil, de rêve et de sommeil. Ces trois états sont des états qui vont et viennent. Le ‘quatrième’ est la réalité qui se trouve au-delà ces états changeants. C’est ce qui reste le même, alors qu’ils vont et viennent. Chacun d’eux se montre seul et rien d’autre.
Cependant, il existe également une autre interprétation, dans laquelle le « quatrième » fait référence à un état de nirvikalpa samadhi, qui est entré avec force par l’état de veille. Un tel état de samadhi va et vient, mais il est considéré comme une passerelle spéciale de l’état de veille à la vérité immuable. Puis le mot ‘turiiya‘ (qui est juste un autre mot sanscrit pour ‘quatrième’) est utilisé pour décrire un changement d’état. Et la vérité immuable est décrite comme ‘turiiy- atiita‘ ou ‘au-delà de turiiya‘. Parfois, même ‘turiiy-atiita‘ est considéré comme un état supérieur, au-delà de ‘turiiya‘. Et puis, la vérité immuable doit être conçue comme « turiiy-atiit-atiita » ou « au-delà de turiiy-atiita ». Alors la conception d’états de plus en plus élevés peut continuer indéfiniment, tant qu’un sAdhaka continue à penser en termes d’états changeants. Pour éviter cette élaboration sans fin de terminologie, Sri Atmananda recommandait une simple remise en question de l’expérience du sommeil profond, selon ses propres termes. Et il a dit que ce questionnement pourrait bien s’effectuer dans l’état de veille, en se reflétant dans la profondeur sans objet de la conscience dans l’état de veille. Car c’est la même profondeur sans objet qui reste présente dans tous les états de rêve et dans le sommeil profond aussi.
Prakriya 7 – The Background ou L’arrière-plan
7.01 Après avoir examiné les aspects sat, cit et ananda, le prakriya suivant étudie l’arrière-plan immuable de tous les changements et de toutes les différences. Comment le monde apparaît, à quelqu’un, il est montré par des images (physiques, sensuelles et mentales) apparaissant réelles. Ces images ont été créées en changeant les actes de perception et de conception, à travers nos corps et nos esprits. Comme nos esprits et nos corps sont différents, leurs façons d’illustrer deviennent également différentes. Les différences produisent une grande variété d’images – à différentes époques, dans des lieux différents, dans des différentes cultures et par des personnalités différentes. Mais au final, chaque image doit provenir de la même réalité du monde physique et mental – qui comprend tous les temps et tous les lieux, avec toutes les cultures et toutes les personnalités. Quelle que soit l’image qui apparaît – de quoi que ce soit ou à qui que ce soit – cette complète réalité est toujours sous-entendue, à l’arrière-plan de la représentation. Chaque image apparente est représentée au premier plan de l’expérience, par une action imagée. Cet acte même doit exprimer la réalité dont il est issu. Cette réalité exprimée est discrètement sous-entendue. Elle se tient complètement invisible à l’arrière-plan, tandis que des images changeantes sont dépeintes sur la surface apparente de l’esprit. En conséquence, la réalité peut être pressentie comme un écran de fond, sur lequel toutes les images du monde sont dessinées. L’écran est en lui-même non représenté – restant partout le même, totalement invariable. Dans ce sens, de se tenir immuable en dessous, cet arrière-plan s’appelle ‘sat’ ou ‘existence’.
Mais cet arrière-plan n’est pas un objet. Chaque objet est un élément illustré, apparaissant sur l’écran d’arrière-plan. Et chacun élément est éclairé par la conscience.
La lumière consciente de la conscience est présente à travers tous les fragements de l’image. Tout au long de toutes les pièces variées du spectacle illustré, cette lumière reste présente avec l’écran. Les fragments illustrés changent et varient ; mais leur fond et leur lumière consciente restent toujours présents, tout au long de tous les changements et de toutes les différences. Il n’y a aucun moyen de faire une distinction entre cette réalité d’arrière-plan et la lumière connaissante de la conscience. Les deux ne peuvent pas être distingués. Ils sont en fait identiques. L’écran d’arrière-plan est lui-même lumineux, illuminant toutes ses images par-derrière. Les images sont toutes faites de lumière. Comme elles le montrent, elles brillent par cette lumière, qui s’illumine elle-même. En ce sens, comme lumière auto-illuminante, la réalité est appelée ‘cit’ ou ‘conscience’.
Au fur et à mesure que les images vont et viennent, elles surgissent toutes en exprimant la conscience dont elles sont issues. Cette expression est leur vie, qui anime leur mouvement changeant. De là vient tout leur sens d’utilité, de leur signification et de leur valeur. En fin de compte, tous les actes représentés sont faits pour la conscience, qu’ils expriment. Comme elle se connaît, dans l’identité, elle brille non duellement – identique à la réalité de chaque image qu’elle alume. Par cet éclat non duel, toutes les actions de nos images sont inspirées pour avoir lieu, spontanément et naturellement, de leur propre gré. De cet éclat non duel apparaît le bonheur qui est découvert quand le désir est comblé. L’esprit désirant est duel, ressentant le besoin d’autre chose. Quand ce qui est voulu est obtenu, le soi qui sait est ressenti comme ne faisant plus qu’un avec ce qui s’est produit. Ici, l’esprit duel désirant a été amené au repos, dissout dans une non-dualité qui est sa véritable motivation. En ce sens, en tant que ce qui est finalement valorisé, la réalité est appelée ‘ananda’ ou ‘Bonheur’.
7.04 Le fond est donc ‘sat-cit-ananda’.
Comme sat, il est l’arrière-plan de tous les objets et des actions objectives.
Comme cit, il est l’arrière-plan de toutes les pensées et les idées.
Comme ananda,il est l’arrière-plan de tous les sentiments et de toutes les valeurs.
Mais alors, comment est-ce possible d’examiner l’arrière-plan, sous les images qui semblent le recouvrir ? Un chemin est suggéré dans le huitième et le neuvième point de Sri Atmananda pour le sadhana.
Le huitième point dit :
7.05 « Entre deux mentations (activités mentales) et dans le sommeil profond, je brille dans ma propre gloire. Même l’ego n’est pas là. »
L’intervalle
Ici, l’idée est d’examiner attentivement les intervalles dans notre représentation du monde apparent. Là, dans les intervalles, quand ils sont bien examinés, le fond peut être trouvé découvert, brillant par lui-même. Dans le sommeil profond, l’intervalle est évident, car il correspond à un intervalle dans le temps physique, vu depuis l’état de veille. Mais il y a également un intervalle moins évident – qui ne nécessite pas de temps physique, et qui passe généralement inaperçu. C’est intervalle qui continue à avoir lieu dans l’esprit, chaque fois qu’une perception, une pensée ou un sentiment prend fin. À ce moment-là – juste après la disparition de chaque mentation et juste avant que la suivante n’apparaisse – il y a un écart intemporel, dans lequel l’esprit est retourné à la dissolution dans son arrière-plan brillant. Dans cet écart, comme dans le sommeil profond, l’ego est dissous et le vrai soi se trouve ‘brillant dans sa propre gloire’. En prenant note de cet intervalle, il montre positivement l’arrière-plan, comme cette réalité vraie et positive de chaque objet et de chaque action qui apparaît. Ce qui rend ce prakriya si positif, c’est que l’intervalle peut être vu se produire tout le temps. Il se produit avant et après chaque instant – comme chaque instant présent s’élève de la dissolution de ce qui l’a précédé, et comme ce moment à son tour se dissout dans un éclat intemporel dont le suivant moment est alors né. Ainsi, tout ce qui peut apparaître s’élève immédiatement de l’arrière-plan brillant, qui fournit à la fois la lumière et la connaissance et un support continu. Et avec la même immédiateté, ce qui s’élève pour le spectacle, retourne ensuite à ce même arrière-plan, qui reste présent tout à fait inchangé.
7.07 Ceci est décrit dans le livre de Sri Atmananda neuvième point pour la sadhana :
« Parce que les pensées et les sentiments s’élèvent en moi (la conscience), se reposent en moi et s’affaissent en moi, ils sont moi-même. »
Ici, il est suggéré de comprendre comment toutes les pensées et les sentiments continuent en montrant une réalité positive, qui est au-delà de leurs apparences intermittentes de l’esprit changeant. Ils l’affirment par leur retour naturel et spontané en se dissolvant dans cette réalité – où ils continuent d’expirer, à chaque instant que nous connaissons. Comment et où cette prakriya est-elle décrite dans les traditions et textes anciens ? Je dois avouer que je n’ai pas beaucoup de réponses. Je ne peux donner que quelques indications préliminaires, qui sont annexées ci-dessous, en post-scriptum.
7.08 Le concept de « l’arrière-plan » dans l’advaita traditionnel – quelques indications préliminaires.
Tout d’abord, lorsque Sri Atmananda parle de l’arrière-plan dans son malayalam natal, Sri Atmananda a utilisé le mot ‘porul’ (avec un ‘l’ rétroflexe (tourné en arrière) – le mot vient du tamoul). Mes dictionnaires traduisent le mot comme ‘sens, vérité, richesse, essence, somme-et-substance’. Ensuite, Ramana Maharshi parle souvent de l’arrière-plan comme d’un écran. Par exemple, dans « Quarante versets sur la réalité », il dit (en strophe 1, traduite de sa version malayalam ‘Sad- darshanam’) :
Les noms et les formes sont des images. Celui qui voit, la lumière et l’écran : tout cela n’est qu’une seule réalité, et cela seulement.
De même, à une époque antérieure, Sri Jnyaneshwar dit dans ‘Cangadeva Pasashti’, 13 (composé en vieux prakrit marathi) :
7.09 Une image inexistante montre, mais ce qui existe n’est qu’un fond d’écran. Alors aussi, ce qui brille c’est la conscience, ici sous la forme du monde changeant.
Troisièmement, en remontant aux temps anciens, le concept de ‘AkAsha‘ est souvent utilisé pour indiquer ou impliquer un fond continu ou immuable. En particulier, en tant que cinquième élément, AkAsha est l’arrière-plan continu qui imprègne tout l’espace et tout le temps. Le mot ‘AkAsha‘ a aussi une signification plus profonde, montrée par sa dérivation. Il vient de la racine « kash », qui signifie « briller », à cette racine, le préfixe ‘a-‘ est ajouté, indiquant ‘proximité’ ou ‘immédiateté’. Ainsi, vu plus profondément, le mot ‘AkAsha‘ indique un éclat immédiat, retrouvé dans le fond de notre espace-temps des images. Dans ce sens plus profond, l’élément ‘AkAsha‘ montre une réalité immuable qui est identique à la connaissance de soi. Ce sens est mis en évidence dans le Brihadaranyaka Upanishad, chapitre 3, à travers un questionnement persistant de Yajnyavalkya par Gargi.
7.10 Au début, l’Upanishad passe en revue les cinq éléments, demandant de quoi chacun est-il fait. Quand on arrive à poser des questions sur AkAsha, il répond de façon cosmologique, à travers diverses conceptions de mythes et de religions qui mènent à l’étendue illimitée de « brahman ». Et il refuse de répondre au-delà de cela – disant à Gargi que sa tête tombera si il pose trop de questions. Mais, quelque temps plus tard, il revient avec une façon plus intelligente en posant des questions sur la nature sous-jacente d’AkAsha. Il demande une question directrice qui fait ressortir la continuité omniprésente d’AkAsha, dans tout l’espace et le temps. Et puis il finit par demander ce qui soutient la continuité. Ce n’est qu’alors que Yajnyavalkya donne une réponse complète et directe, lui montrant qu’AkAsha montre une réalité immuable (akShara) laquelle est directement établie comme le soi connaissant. Comme il le dit (en 3.8.11) :
7.11 Ceci, Gargi, est ce même principe immuable… qui n’est pas connu, mais qui est le connaisseur …. Autrement dit, il n’y a pas de connaisseur. Gargi, c’est dans ce principe très immuable qu’AkAsha est tissé dans la chaîne et dans la trame.
Prakriya 8 – Merging Back – Se fondre en arrière
8.01 Dans ses « entretiens régulières », Sri Atmananda a donné une introduction méthodique à quelques principaux prakriyas – des trois états à l’arrière-plan immuable. Les prakriyas montrent différents aspects de la même vérité, à laquelle chacun se reflète. Chaque prakriya se rapporte à cette vérité où chacun doit pointer et se dissoudre. Ce n’est qu’ainsi, en fusionnant, que les différents prakriyas se connectent. L’ordre qui les relie est un ordre subtil, qui ne peut être construit comme un système formel. Il peut seulement être dévoilé naturellement, par une fusion répétée dans cette vérité unique à partir de laquelle tous les prakriyas surgissent. En fait, comme le montre le prakriya d’arrière-plan, nous fusionnons en arrière dans la vérité à chaque instant de nos vies diverses. Mais, à cause de l’habitude aveugle de l’ego conditionné, nous ne voyons pas exactement que nous sommes continuellement fusionnés. Ce que fait un enseignant d’advaita est d’amener un sAdhaka à la vérité, à travers un raisonnement supérieur qui montre clairement et complètement ce qu’est la vérité en elle-même, et comme le sAdhaka est fusionné en elle. Quand un fusionne ainsi dans une complète et totale clarté, Sri Atmananda décrit l’expérience comme une « visualisation » de la vérité. Et là, il faut comprendre que le mot « visualiser » est utilisé d’une manière spéciale. Il ne fait pas référence à toute vision partielle, à toute perception physique ou mentale.
8.03 Chaque fois que la vérité est correctement visualisée, la visualisation est une vision impartiale, qui ne garde aucune trace de l’esprit partiel et du corps encore confondus avec lui. Au moment où cela se produit, la visualisation est complète et claire, sans la moindre trace de partialité ou d’incompréhension. Mais, comme l’esprit et le corps du sAdhaka sont ainsi laissés pour compte, pour visualiser la vérité, cet esprit et ce corps peuvent encore retenir les impuretés de l’ego possessif, qui n’ont pas encore été éradiquées du caractère du sAdhaka. Si c’est le cas, les impuretés persistantes se réaffirmeront plus tard, de sorte que la visualisation devient obscurcie. Alors, plus de travail de sAdhana est nécessaire. Utiliser les prakriyas de l’enseignant, ou tout autre prakriyas qui peut être découvert ou inventé, le sAdhaka doit sans cesse revenir – de l’égarement de l’ego, à la vérité qui a été montrée. Ainsi rafraîchissant la visualisation, encore et encore, la vérité reste soulignée, au détriment de l’ego erroné.
Au fur et à mesure que les impuretés persistantes de l’ego sont éliminées, la visualisation arrive à être plus stable et moins facilement obscurcie. Finalement, l’ego devient complètement éradiqué et la visualisation reste complètement régulière et ininterrompue. Cette vision ininterrompue de la vérité est appelée l’état « sahaja » ou « l’état naturel ». La vérité est alors comprise spontanément, sans besoin d’effort d’éclaircissement, peu importe ce qui peut arriver ou apparaître. Dans un tel sahaja ou dans l’état naturel, le sens confus d’un ‘sAdhaka‘ ou d’un ‘chercheur’ n’existe plus. Cette confusion a alors disparu – en la voyant comme une façade de la personnalité partielle, dont les ruses changeantes d’un spectacle maquillé ne font aucune différence réelle.
A la place de cette confusion personnelle, le ‘j~nAni‘ ou le ‘sage’ a irrévocablement pris en charge, une position immuable qui est tout à fait impartiale et spontanée.
Pour décrire la stabilisation de la visualisation d’une irrévocable spontanéité, Sri Atmananda a parlé d’« établissement » dans la vérité. Cet établissement est le but précis de ses deux derniers points pour le sAdhana, le dixième et le onzième.
8.04 Le dixième est : Tout ce qui est passé est une idée.
Tout ce qui est passé est une idée. Le monde entier peut donc être considéré comme une idée. L’idée n’est rien d’autre que la conscience. Par conséquent, le monde entier est conscience. Rien ne le rend le moins du monde différent de la conscience actuelle qui le connaît. Sri Atmananda donne un exemple d’autres prakriyas qu’il encourageait ses disciples à découvrir ou à inventer par eux-mêmes. Dans cet exemple particulier, d’une manière particulière, le prakriya prend une approche idéaliste. Au début, il est précisé que toute notre expérience du monde dépend des souvenirs passés qui entrent dans le présent à travers nos esprits. Ainsi, à n’importe quel moment du temps, ce qui est réellement présent du monde peut être vu comme une idée, composé à partir de la mémoire actuelle de l’esprit. Il n’y a rien ici d’additionné à la conscience presente. Le monde extérieur est ainsi réduit à l’esprit intérieur. Et puis ce qu’il ne reste n’est que l’esprit, sans choses extérieures et sans influences extérieures. Dans ce pur esprit, rien ne le rend le moins du monde différent de la conscience actuelle qui le connaît.
En conséquence, l’esprit est à son tour identique à la réalité présente de la conscience. Et ce n’est pas une prétendue banalité de l’ego physique ou mental. Au lieu de cela, c’est la vérité non duelle du soi qui se connaît et qui connaît tout ce qui est connu, y compris le monde entier.
8.06 Dans le dernier point pour le sAdhana, les divers prakriyas sont implicitement résumés, par un argument central pour établir la vérité non-duelle :
« En résumé, les pensées, les sentiments, les perceptions et l’extérieur monde ne sont rien d’autre que la conscience. Je suis aussi conscience. Il n’existe donc rien d’autre que la conscience. »
De ce résumé, une question peut se poser. Pourquoi est-il centré sur ‘cit‘ ou la conscience ? Qu’en est-il des deux autres aspects, de ‘sat‘ ou l’existence et ‘ananda‘ ou le bonheur ? Une réponse vient de la nature des prakriyas qui procèdent par la raison, en commençant par les hypothèses et les constructions de la raison inférieure et passant ensuite par le questionnement réfléchissant de la raison supérieure. De tels prakriyas de la logique sont centrés sur la connaissance, d’où vient d’abord la conscience. Pour examiner l’existence et le bonheur, il faut se demander comment ils sont connus. Ils sont ainsi examinés en se réfléchissant à la conscience, et en les observant à partir de là. Ce n’est pas vraiment un problème pour l’existence, parce qu’il est naturel de vérifier l’existence en l’observant. Mais en ce qui concerne le bonheur, la même chose ne s’applique pas. Car il est plus naturel de sentir le bonheur, plutôt que de l’observer. Et un tel sentiment laisse entendre une profondeur motivante de la connaissance, que nous appelons l’amour. En conséquence, l’aspect du bonheur implique une autre approche plus profonde, qui concerne le cœur motivant de la raison et sa recherche. Cette approche plus profonde est bien sûr l’amour dévotionnel de bhakti.
Pour Sri Atmananda, l’advaita de bhakti est une question très délicate, entre le maître et le disciple. Il a insisté sur le fait que ce n’était pas soumis à un raisonnement initié par l’esprit. Ainsi, il l’a traité comme un point profondément émotionnel, qui doit être laissé à lui-même, au-delà de la réflexion de l’intellect. Tout ce qu’il dirait, c’est que l’enseignant représente la vérité elle-même, au centre du cœur du disciple. Une fois que la vérité a été démontrée par un enseignant de l’advaita, toutes les autres sAdhana procèdent de là et y reviennent. Sans cet enseignement vivant de l’intérieur, aucun sAdhana est à juste titre significatif. Pour un sAdhana vers l’établissement dans la vérité, son conseil général aux disciples était en deux parties.
D’abord, faire face sans dévier à tout ce qui peut venir affronter le disciple dans le monde.
Et deuxièmement, ayant affronté de face chaque événement, pour y réfléchir spirituellement et pour ainsi revenir à la vérité qui reste toujours non affecté par ce qui se produit à la fois dans le monde et dans la personnalité.
8.07 Le sommeil profond
Mais il y a aussi un sAdhana particulier qu’il a décrit par deux courtes injonctions :
« Dormir en connaissance de cause » et « Dormir en conscience ».
Pour donner une idée de ce sAdhana, une série de citations sont ci-dessous, elles sont extraites des Notes sur la spiritualité de Sri Nitya Tripta. Discours de Sri Atmananda.
Ces citations peuvent aussi aider à relier ce sAdhana à certaines pratiques et conceptions de méditation traditionnelle.
8.08 1950, note 1
Nous atteignons notre vraie nature en relaxant notre esprit de toutes les formes d’activité, et en même temps en ne perdant pas de vue le bonheur et la paix éprouvés dans le sommeil profond. Cet aspect positif nous sauve du probable voile de négation et de sommeil. Nous ne devons pas permettre à l’esprit d’être actif et en même temps nous devons veiller à ce qu’il ne devienne pas inactif. En d’autres termes : « Dormez en connaissance de cause ». Ainsi, le sommeil profond peut être utilisé directement pour s’établir dans le vrai centre.
8.09 1951, note 2
Le poète Tennyson dit [dans le poème ‘Ulysses’] :
« Poursuivre la connaissance, comme une étoile (sinking) submergée, au-delà de la plus grande limite de la pensée humaine ». Cela vous prendra un long chemin si vous réfléchissez profondément à ce que Tennyson voulait dire par cette déclaration. « Sinking star » peut signifier cela. « Sinking » L’engloutissement implique la relaxation. Vous n’avez qu’à vous retirer et vous retirer dans le principe ‘je’, et reposez-vous là. Autorisez-vous à vous laisser guider. Coulez, coulez, coulez… Coulez du corps, coulez des sens et coulez de l’esprit…
8.10 Ashtavakra dit, dans un contexte similaire :
yadi deham prithak-kritya citi vishrAmya tishThasi adhunai ‘va sukhi shAnto bandha-mukto bhavishyasi [‘Ashtavakra-samhita’, 1.4]
En vous séparant du corps , si vous vous reposez dans la Conscience, vous êtes libéré ici et maintenant.
8.11 1951, note 75 ‘
Dormez le monde entier, accroché à la Conscience. » dit le Sage [Ashtavakra].
L’utilisation du verbe dormir sous la forme transitive, bien que particulière, est pleine de sens. Cela signifie : abandonner le nom et forme, et rester en arrière-plan.
8.12 1952, note 294
yadi deham prithak-kritya citi vishrAmya tishThasi adhunai ‘va sukhi shAnto bandha-mukto bhavishyasi [‘Ashtavakra-samhita’, 1.4]
‘Dormir en Conscience.’ C’est la voie royale vers l’état naturel.
8.13 1952, note 296 Comment dormir en connaissance de cause ?
Sachez que vous allez dormir. Que cette pensée soit aussi vague que possible. Puis videz votre esprit de toutes les pensées intrusives, en prenant soin de ne pas fatiguer l’esprit le moins du monde. Ayant compris du guru que votre vraie nature brille seule dans sa propre gloire dans le sommeil profond, si vous vous détendez dans le sommeil profond comme cela est suggéré, le sommeil profond ne sera plus un état, mais votre vraie nature, même au-delà de ‘nirvikalpa samAdhi‘.
Cette note est liée à la déclaration suivante – en supplément de Quelques déclarations spirituelles…’ :
Dormez involontairement et vous serez conduit dans le sommeil profond de l’homme ignorant. Dormez volontairement et vous serez emmené au nirvikalpa samAdhi. Dormez en connaissance de cause et vous serez ramené à votre vraie nature (votre état naturel) au-delà de tout samAdhi.
8.14 1952, note 365
En relaxation, on devrait avoir quelque chose à quoi s’accrocher. Si vous vous accrochez au « je » et si vous détendez les sens et l’esprit, vous obtenez le sommeil réel. Laissez l’esprit endormi au monde entier et éveillé au « je ».
8.15 1953, note 14
Assurez-vous que chaque extrémité de votre sommeil est saturée de la pensée de votre vraie nature, votre maison natale.
8.16 1956, note 120
L’expérience est de deux sortes : vastu-tantra [gouverné par la réalité]
et kartRRi-tantra [gouverné par celui qui fait].
Vastu-tantra est né de l’Atma.
kartRRi-tantra est né de l’action.
Toutes les expériences de dualité, y compris même le nirvikalpa samAdhi du yogi, sont kartRRi-tantra.
Vastu-tantra est uniquement l’expérience qui m’envoie directement à ma vraie nature, de Paix et de Conscience… Vastu-tantra, étant de l’Atma, est au-delà du sentiment.
kartRRi-tantra, étant mental, peut être ressenti, mais reste éphémère. Une satisfaction mentale peut être tirée à la fois de la Vérité et du mensonge. Le Vastu-tantra n’est pas le résultat d’une activité ou d’une inactivité. Mais le kartRRi-tantra est toujours le résultat d’une activité qui prend la forme du désir et de l’effort pour sa réalisation.
Lorsque le disciple – qui est un sujet éveillé – est informé par le Guru que même sa satisfaction phénoménale ne découle pas d’objets, mais que c’est sa propre nature réelle qui brille dans sa propre gloire, son doership (qui est le centre de kartRRi-tantra) s’effondre pour toujours. Les désirs ne le tourmentent plus, et la satisfaction est transformée en paix permanente. Lorsque cette paix sublime, vastu-tantra, est recherchée pour être apportée pour répondre au kartRRi-tantra, guidé par des goûts et des tendances variés, une foule de nouveaux concepts commencent à apparaître sous la forme de religions, de paradis, d’objets de plaisir et ainsi de suite.
Par conséquent, renoncez à vos goûts, vos tendances et vos désirs – pas violemment, mais en sachant, et en sachant de plus en plus profondément que toute satisfaction est l’expression de votre propre réelle nature de Paix – et vous serez à jamais libre.
L’état de paix dans le sommeil profond est l’expérience la plus familière du vastu-tantra dans la vie quotidienne. L’extermination de tous les kartRRi-tantra est le but ultime du Vedanta. Ceci établit le vastu-tantra sans aucun effort positif quel qu’il soit. Regardez le sommeil profond. Vous n’avez qu’à abandonner votre attachement au corps, aux sens et à l’esprit, dans les états de veille et de rêve. Immédiatement, la Paix – vastu- tantra – se lève, permanente et auto-lumineuse.
Le sommeil profond vient involontairement, et sans l’aide de discrimination. Par conséquent, il disparaît, après un certain temps. Mettre en place le même état volontairement et avec discrimination. Quand une fois vous le visualisez de cette façon, il ne disparaîtra jamais.
Prakriya 8 (continued) – Some Questions – Quelques questions
8.18 Madathil Naïr : Puis-je considérer ce que vous avez dit [à propos de l’établissement dans la vérité] comme la stitaprajnatwam de la Bhagwad GItA qui se produit lorsque le chercheur virtuel *devient* le prajnAnam d’Aham BrahmAsmi ?
Ananda : Oui, je dirais que le ‘sthita-prajnya’ décrit dans la Gita 2.54-57 pourrait être interprété comme celui qui est « établi dans la vérité », dans l’utilisation de cette expression par Sri Atmananda. Mais, pour cela, les strophes devraient être interprétées à partir d’une approche j~nana. Voici comment je m’y prendrais :
Arjuna a demandé : Que peut-on dire de celui qui est établi dans la vraie connaissance et qui s’y absorbe ? Comment cette personne parle, s’assoit et bouge ? [2.54
Krishna répondit : Quand tous les désirs, pénétrant profondément dans le mental, ont finalement été abandonnés, une personne parvient à une paix durable et au bonheur : dans le soi seul, par lui-même. Quand quelqu’un arrive à s’y installer tout à fait spontanément, en restant toujours imperturbable, quoi qu’il arrive ; ce quelqu’un est alors dit être « établi dans la vraie connaissance ». [2.55 Une telle personne, d’une compréhension constante, reste inébranlable intérieurement : elle n’est plus motivée par le besoin de posséder, ni par le désir, la peur et la mauvaise humeur, à travers toutes les souffrances et les joies dans lesquelles l’esprit s’implique. Un tel homme, qui se tient sur une base immuable, est appelé un sage. [2.56
Quoi qu’il arrive, de bon ou de mauvais, quelqu’un dont la connaissance est établie reste à tout moment impartial : tout à fait indifférent à la satisfaction quand tout va bien, ou à la frustration quand tout va mal. [2.57
Vous vous demandez peut-être ce qu’il y a de si spécial dans l’interprétation d’un j~nAna, pour la rendre différente des plus habituelles interprétations ?
Eh bien, je dirais que l’interprétation habituelle est celle que vous laissez entendre dans votre question, quand vous parlez de réalisation comme le résultat « lorsque le chercheur devient en pratique le prajnAnam d’Aham BrahmAsmi« .
Le mot « devient » indique ici une transformation de la personnalité, ce qui implique une approche yogique du développement du mental et de l’amélioration du caractère par l’exercice méditatif…
Et, à juste titre, vous qualifiez le ‘*devient*’ avec « en pratique », afin d’indiquer un glissement vers une approche advaitique de j~nAna. Dans une telle approche de j~nana, il est reconnu que le chercheur est déjà la vérité qui est recherchée, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de tenter un quelconque « devenir » par la méditation yogique. La seule nécessité pour le sAdhaka est de se rendre compte qu’il n’a jamais été lié, et de continuer à revenir à cette réalisation jusqu’à ce qu’elle devienne stable et spontanée.
Comme l’a dit Sri Atmananda, même après qu’un disciple a été pris pleinement par la vérité, il peut retomber dans une phase restante d’identification, comme quelqu’un qui pense encore qu’il a compris. Une identification erronée persiste ainsi un certain temps. Mais l’erreur de l’ego a été coupée à sa racine même, de sorte que l’erreur ne continue pas à se réapprovisionner comme avant. Au lieu de cela, c’est irrévocablement sur le chemin de la réalisation. Le travail de la compréhension est alors mieux aidé en revenant à la réalisation, maintes et maintes fois, par une recherche directe dont la seule préoccupation n’est que la vérité et rien d’autre. Tout caractère d’amélioration ainsi laissée pour compte, en fonctionnant comme un simple effet collatéral, dans les paradoxes apparents et les confusions d’une personnalité incomplète et du monde.
8.21 Madathil Naïr : En ce qui concerne les souvenirs du passé, est-ce qu’AtmAnandaji reconnaît les *traditionnels* vAsanAs et saMskAras des vies antérieures ?
Je vous le demande parce que je me retrouve face à des situations extérieures qui ne sont pas justifiées par les seuls souvenirs de cette vie.
Ananda : Oui, Sri Atmananda a parfois utilisé des idées de transmigration. Il avait de la vie passée, la perception de saMskAras de personnes précises. Mais en général, il n’a pas demandé ni même encouragé ses disciples à s’impliquer dans cette conception des vies antérieures. En fait, il a spécifiquement dit à ses disciples qu’ils seraient mieux de voir cette conception comme une métaphore de la mort la plus immédiate et de la renaissance que chaque personne continue de faire l’expérience dans le présent – étant donné que chaque pensée meurt dans la conscience pure, de laquelle seule toutes les pensées continuent de naître.
8.22 Madathil Naïr : J’ai eu une visualisation de mon corps avec seulement le sens du toucher qui le supporte… L’objet s’évanouit lentement happé par la lumière qui l’éclaire.
Alors, il ne reste que la lumière… Je suis pure lumière. Il n’y a pas de pensée d’inquiétude au sujet des propriétés physiques de la taille et de l’ampleur de la brillance. Que la lumière. Appelons-la la lumière de la connaissance… Puis, quelque chose de regrettable se produit. L’inconscience du sommeil avale avidement la lumière faisant de tout le scénario un vide dont je suis seulement conscient à mon réveil. Ce n’est pas différent du sommeil d’un homme ignorant ! Comment alors couler de bas en bas comme Tennyson ? Tous les conseils personnels que vous avez, seraient vraiment utiles pour nous tous… Est-il nécessaire de * dormir consciemment* quoi que cela implique ? »
Ananda : J’utilise le mot « visualisation » d’une manière très différente de votre description ci-dessus. Ce que vous semblez décrire est un processus de méditation qui progresse du sens du toucher corporel à la claire lumière et à la pure conscience, avant de s’engouffrer dans le vide du sommeil. Pour moi, le mot ‘visualisation’ fait référence à une compréhension intemporelle qui est atteinte à l’arrière-plan de l’expérience, où toute idée de temps et du processus a complètement disparu. Cette compréhension intemporelle ne se construit par aucun processus méditatif. C’est au contraire, plus comme un soudain retour en arrière dans l’intemporalité, qui suit d’une façon ou d’une autre, la raison hésitante ou d’autre stimulation de la réflexion intérieure. Et ce « retour en arrière » se produit d’une façon décalée et contradictoire qui sape toute discussion sur sa localisation ou sa durée dans le temps. Enfin, ce doit être un paradoxe de parler de quand ou pour combien de temps on a été jeté hors du temps. Ou, effectivement, parler de ce que l’on est dans cette intemporalité – où aucun changement ne se produit de manière à avoir la possibilité de faire une comparaison. Le retour en arrière est effectivement dans la dissolution totale des apparences, et dans ce sens c’est un oubli total du monde. Mais ce n’est pas dans un néant absolu et vide de sens. Au lieu de cela, c’est dans la paix et la lumière, ce qui signifie en quelque sorte exactement pour quelle raison toutes les choses sont faites. Et ça le signifie sans le dire, ni y penser ou le sentir. Mais, bien sûr, il est complètement absurde et tout à fait insuffisant de décrire une telle visualisation de cette manière. Le tout se passe en un éclair, de sorte qu’il est terminé dès qu’il a commencé. Et il ne peut y avoir aucun souvenir de cela par la suite dans l’esprit. Alors c’est toujours perdu et tout à fait mal représenté, chaque fois que c’est décrit dans une longue description en mots, ou quand une grande chose est fabriquée avec de grandes idées ou avec des émotions sentimentales. Une telle visualisation fait mieux son travail lorsqu’elle est faite tranquillement, en se détendant en elle.
C’est le but d’essayer de « dormir en connaissance de cause ». Cette sAdhana est destinée à promouvoir de plus en plus une visualisation détendue de la vérité.
Lorsque la visualisation devient complètement détendue, la visualisation se produit avec une totale spontanéité, de son plein gré. Elle est alors permanente, sans effort nécessaire pour la provoquer. Le sAdhaka s’est alors dissous, établi dans la vérité.