Après cet instant de silence, nous pourrions nous arrêter, nous avons dit l’essentiel. Que nous soyons croyants ou non-croyants, nous arrivons à la même évidence, à la même paix, au même amour au même silence : je suis Existence, Conscience, Paix.
Mais nous sommes humains et nous vivons dans la dualité depuis… la nuit des temps. Pour pouvoir dépasser nos formations mentales, nos samskaras, nos croyances et toutes les impressions qui composent notre personnalité, nous avons besoin d’arguments pour nous ramener sans cesse à la Vérité.
La réalité est cachée par la présence des objets. Si nous voyons un mur sans le tableau qui avait l’habitude d’y être accroché, nous verrons le mur avec une attention soutenue qui n’aurait pas eu lieu, si la peinture était encore à sa place. De la même façon, la réalité, derrière le monde est cachée par la présence du monde, que ce soit le monde de l’état de veille ou le monde de l’état de rêve. Nous prendre pour ce corps, ce mental, ces sens, nous oblige à ne percevoir qu’un monde de diversité qui induit l’esclavage.
Cette variété apparente prouve qu’il y a quelque chose d’inchangé qui la supporte : le fond. Si au lieu de cela, vous en êtes le sujet, le monde sera alors réduit à la seule réalité. Je suis un et unique. Existence, Conscience et Paix ou Bonheur absolu sont les expressions d’une seule et même réalité, la réalité exprimée.
En étant la nature réelle, le fond disparaît aussi, car il n’était appelé fond que par rapport à l’apparente diversité. La réalité est absolue, sans caractéristique. Je suis « Soi » et il n’y a rien à connaître.
Cette connaissance suprême a été enseignée en Inde depuis des milliers d’années par le Maître au disciple. Elle est connue sous le nom d’Advaita Vedanta (non deux).
Nous aborderons l’Advaita Vedanta comme source de notre connaissance. Nous rencontrerons les Maîtres qui nous ouvrent les yeux sur la Vérité. Nous verrons que cet essai n’est qu’une porte entrouverte sur la Vérité. Puis, nous exposerons quelques mises en garde concernant l’ego. Enfin, nous terminerons en considérant que seule la relation de maître à disciple conduit à la Vérité.
• La non-dualité
Nous avons vu que notre réelle nature est pure Conscience et Paix. Nous avons prouvé comme non existante la présence d’objets qui constituent le monde ; nous l’avons fait à travers les trois états qui nous caractérisent, en réduisant successivement l’objet matériel à un objet mental et l’objet mental à la Conscience pure. Soulignons que cet essai n’a pas pour objectif de démontrer que le monde n’existe pas mais plutôt que le monde est notre réelle nature : Conscience.
L’homme prétend généralement qu’il est un corps, que ce corps possède un mental et que son mental supporte son âme, plus encore à l’intérieur. L’aspirant à la Vérité a une position totalement opposée. Il sait que l’Âtmâ, le Soi, est le support du mental et que le mental est celui du corps.
L’Advaita Vedanta vient du sanscrit, Advaita qui signifie non-deux et Vedanta, l’aboutissement. Le but de cet enseignement est d’atteindre la Vérité par la non-dualité, l’un sans second. Je sais que « Je suis », chaque expérience apparaît et disparaît en moi. Le fond, le support de chaque expérience, est le Soi. La certitude d’être ce principe sans changement et lumineux s’appelle la libération. La conviction d’être limité, entravé, n’est autre que l’asservissement de l’humain dans ses cadres conceptuels préconçus. Nous sommes ce que nous pensons réellement être. L’homme profane ne peut pas percevoir la Vérité. Il est dans la dualité et ne connaît que des perceptions. La non-dualité, l’Advaita est une méthode qui permet de l’accompagner de sa perception des objets vers la Vérité ultime. C’est ce que nous avons pu découvrir au cours des chapitres précédents. La non-dualité est le support de la dualité. Le non-dualiste connaît la position de la dualité puisqu’il était dualiste auparavant, tandis que le dualiste ne peut pas même concevoir la non-dualité. L’Advaita n’est pas une philosophie, elle est l’aboutissement de la pensée dont l’origine se trouve dans les Vedas. C’est la science de l’amour.
L’un des grands sages à qui l’on doit d’avoir consolidé les principes de l’Advaita Vedanta est Sankara ou Shankaracharya (788-820). Il naquit dans le petit village de Kaladî, dans le Kerala, un état de l’Inde du sud. Très jeune, Sankara renonce à une vie de famille pour se consacrer à la recherche de la Vérité. Il est l’un des Maîtres spirituels les plus célèbres de l’Inde. Après être devenu disciple de Govindanātha, élève de Gaudapada, il va parcourir l’Inde, du Sud vers le Nord pour se confronter aux érudits qu’il rencontre. Pendant ces joutes orales, il leur expose sa pensée non-dualiste, il galvanise alors tous les sages bouddhistes de cette époque les convertissant à l’enseignement exposé dans l’Advaita Vedanta. Ce fut à cette époque que bouddhisme disparut de l’Inde.
En 1883, toujours au Kérala, naissait Gurunathan, Sri Âtmânanda Krishna Menon, 1883-1959. Il est l’un des plus grands sages de notre monde, il a ouvert l’Advaita Vedanta à l’Homme sans distinction. Comme nous l’avons vu au début de cet essai, la Vérité était sacrée et protégée par la caste des Brahmanes. Peu d’êtres humains pouvaient y avoir accès ; seul le disciple accepté par le Maître à qui il consacrait toute son existence avait quelques chances d’y parvenir. Gurunathan nous montre que l’on peut continuer à vivre une existence simple et ordinaire tout en suivant son enseignement.
Le Guru, « celui qui est Grand », le guide spirituel, représente plus qu’un vecteur de transmission, il est la Vérité ultime. Le Guru est au-delà de la dualité et cela ne peut être qu’une énigme pour un intellectuel ou un Occidental.
Si un enfant demande où est son corps, aucun livre ne peut lui enseigner où il est. Il suffit de lui retirer ses vêtements et rien d’autre n’est nécessaire pour qu’il puisse le voir. De la même façon, le Guru crée les conditions dans lesquelles notre véritable nature brille de toute sa splendeur. Le mental alors avec toutes ses questions, disparaît pour toujours : la Vérité ne peut être comprise que par la Vérité.
“It is the realization of oneself and the entire world that is known as realization of truth.” Âtmâ Darshan. Different stages of Illumination
C’est la réalisation de soi-même et du monde tout entier qui est connue comme la réalisation de la Vérité.
• Le Soi absolu : Âtmâ, Sat-Chit-Ananda et Brahma
La satisfaction est le résultat de l’accomplissement de ses désirs. Elle dépend des plaisirs tangibles et ne peut jamais dépendre de l’absolu. La satisfaction suppose toujours un objet avec ses limites. Il n’y a rien du monde phénoménal qui puisse satisfaire quelqu’un pour toujours. Le multiple ne peut pas faire cela. Seul Âtmâ, le Soi peut conduire à une réelle satisfaction, un bonheur sans objet. La Connaissance de savoir que je suis l’expérience sans changement est l’essence même de la satisfaction, unique et absolue car elle est évidente par elle-même et au-delà du mental.
La mémoire de nos anciens samskaras basés sur un besoin de plaisir, nous amène encore à avoir terriblement envie de bonheur même quand on se tient derrière. Cette fausse inclinaison doit être ignorée ou considérée comme étant une illusion et détruite à la lumière de la Connaissance. La Vérité est Conscience, elle est la nature du Soi. Elle est ultime et au-delà de toute relativité.
L’approche de la Vérité est une approche strictement individuelle et ne peut jamais être une approche sociale ou communautaire. A travers la Connaissance, l’individu réalise sa propre perfection et transcende automatiquement la société et le monde. Il ne voit dans le monde qu’une illusion. Et il l’autorise par concession, à continuer d’exister. Il peut aussi s’en défaire à chaque instant en retirant sa Conscience.
La Vérité n’est pas à chercher comme « le Saint Graal ». La Vérité est en Soi, elle est comme un joyau recouvert d’un voile qu’il suffit de retirer pour qu’il brille de toute sa splendeur. Découvrir la Vérité peut sembler impossible ! Pendant le rêve, le sujet est-il capable de se percevoir dans l’illusion ? Mais une fois sorti de cet état, a-t-il besoin de preuves pour dire que ce n’était qu’un rêve ?
La Vérité n’a rien à gagner à être découverte, elle n’a pas besoin d’être connue, elle est. Elle est l’homme ignorant, elle est l’homme sage. La Vérité est partout, espace et non-espace, elle est vide et non-vide, elle est le tout et son contraire. Nommez-la Dieu, Connaissance, Conscience, Existence, Paix, Amour, Elle est transcendante. La Vérité est si simple quand nous sommes si compliqués. Pour l’aspirant à la Vérité, elle s’établit progressivement et c’est pour lui une source d’émerveillement sans fin. Chaque expérience sert à me rappeler que je suis sans changement, immuable.